Les atteintes provoquées par le passage de l'autoroute Est-Ouest à l'intérieur du parc national d'El Kala seront irréversibles et catastrophiques. Et plus « de la gesticulation d'intellectuels en mal d'action », le mouvement qui s'est créé autour du combat pour la protection de l'aire protégée se veut avant tout dissuasif. Une sorte de première étape qui vise à informer les citoyens à dissuader les pouvoirs publics dans leur œuvre… avant d'intenter peut-être une action judiciaire si les travaux ne sont pas stoppés. C'est du moins ce qui est ressorti de la conférence de presse tenue hier à la maison de la presse Tahar Djaout par Nassera Benmouhoub, enseignante en droit de l'environnement à l'université de Tizi Ouzou, Rafik Baba Ahmed, ancien directeur du parc national d'El Kala, Meriem Louanchi, scientifique à l'institut national d'agronomie, et Slim Benyacoub, professeur à l'université de Annaba et directeur du laboratoire des zones humides. Les atteintes écologiques Le parc national d'El Kala se trouve à l'extrême est de l'Algérie, à la frontière tunisienne. L'autoroute qui doit traverser le pays dans sa frange nord d'Est en Ouest a prévu de couper le parc national en deux pour finir sa course à 170 km environ de la frontière tunisienne. Le problème qui se pose est double : écologique et juridique. D'un strict point de vue écologique, faire passer une voie à grande vitesse à travers le parc est un défi contre la nature qui n'y survivra pas. Le professeur Benyacoub a été clair : c'est la mort annoncée de toute la biodiversité qui entoure le parc national. Des chiffres : le parc national d'El Kala recèle à lui seul 88% des espèces d'oiseaux d'Algérie, 95% de ses espèces mammifères, 98% de ses insectes et 98% de ses espèces végétales. En somme, un concentré de diversité biologique réuni sur un espace commun de quelque 150 millions d'hectares. « C'est important pour des raisons scientifiques, écologiques, mais également culturelles, voire récréatives », poursuit le professeur de Annaba. La dimension économique n'est pas non plus à écarter puisque l'étude microbiologique de ces espèces met en exergue leur patrimoine génétique propre à s'adapter à un environnement particulier. Cette diversité biologique est une richesse au même titre que le minerai de fer ou le pétrole, à la différence que celle-ci est renouvelable. L'importance de ces écosystèmes a été repérée par les autorités des années 1970 et 1980 qui ont pris les mesures nécessaires à leur protection. Des mesures aujourd'hui bafouées et piétinées et qui déstructurent entièrement le statut juridique du parc national. Le parc national d'El Kala est une aire protégée par les lois de la République algérienne. Des conventions internationales telles que la convention Ramsar, la Cittes, intégrées dans notre juridiction nationale, ajoutent à l'armada judiciaire. Le parc national est protégé par un décret présidentiel de 1983 qui lui confère un statut type et par la loi 83-10 qui définit les parcs nationaux. Les textes apportent une classification scientifique au parc. Une sorte de zonage qui permet de lister les actions qui peuvent y être entreprises. Grossièrement, il existe cinq zones, et la première, appelée la réserve intégrale, ne peut être touchée d'aucune façon. La conservation dynamique de la faune, la flore, les sols et les sous-sols y est sans appel. Les autres zones permettent quelques aménagements liés à l'activité scientifique principalement. La dernière zone, la zone 5, dite zone périphérique au parc, autorise des activités de travaux publics comme une autoroute. Violation de la loi 83-10 « En 2000, l'Algérie promulgue de nouveaux textes avec la notion de développement durable, mais rien n'est changé dans l'ossature juridique du parc national. Sa protection et sa préservation restent en vigueur. » « Le passage de l'autoroute Est-Ouest provoque l'anéantissement du seul texte de loi qui protège le parc », explique Mme Benmouhoub. C'est la porte ouverte à de nouvelles infractions et c'est la mise en danger des 10 parcs nationaux d'Algérie. « L'autoroute est une infraction. Elle contrevient à tous les textes en vigueur », soutient l'enseignante en droit de l'environnement. « Nous avons eu une réunion avec le ministre des Travaux publics, Amar Ghoul, en juillet 2007, qui nous avait fait la promesse que la réalisation du tronçon allait être différée », explique Rafik Baba Ahmed. Et d'ajouter : « Le ministère de l'Aménagement du territoire, de l'Environnement et du Tourisme, qui a été titillé, s'est enfermé dans un mutisme », poursuit l'ancien directeur du parc. L'étude d'impact qui a fait tant de bruit est déjà hors-la-loi puisqu'il ne doit pas y avoir d'autoroute qui traverse le parc. Par ailleurs, ajoute l'ancien directeur, « la loi algérienne impose l'étude d'impact au maître d'œuvre, en l'occurrence les Japonais », ce qui équivaut à être juge et partie, souligne Mme Benmouhoub. L'étude d'impact doit être publiée à la mairie et mise à la disposition du public, ce qui n'a pas été fait. Mais ce qui a été assuré, par contre, c'est la réception de 10 millions de dinars donnés à l'Algérie en vue d'offrir les conditions nécessaires à la protection du parc national. « L'Algérie doit honorer ses engagements. Cependant, ce n'est pas un système fiable dès lors que la seule obligation qui est faite au pays qui a ratifié c'est d'envoyer des rapports », poursuit-elle. « Nous réfléchissons à une action en justice. Quant aux relais internationaux, nous voulions avant de les saisir agir loyalement et alerter les autorités algériennes pour les mettre devant leurs responsabilités », explique M. Baba Ahmed. Le mouvement, souligne l'ancien directeur, n'est pas contre l'autoroute. « Nous voulons le parc national et l'autoroute, mais pas dans le parc. Comme on ne peut pas déplacer le parc national, on veut déplacer l'autoroute », conclut M. Baba Ahmed.