Le débat sur les impacts de l'autoroute Est-Ouest est effectivement un faux débat. Pour l'instant, il a pour but d'évacuer la principale question que pose le passage de l'autoroute par le Parc national d'El Kala et qui est la suivante : voulons-nous encore d'un parc national digne de ce nom ? Car, si l'autoroute doit passer, la loi algérienne, qui traduit la volonté de l'Etat et de la nation de conserver un riche patrimoine naturel, aura été une fois de plus piétinée dans ce petit bout de notre territoire (800 km2, le tiers de la wilaya d'El Tarf) qu'on a spécialement réservé à cette mission. Les statuts algériens des parcs nationaux de 1983 définissent 5 classes de protection, de la zone intégrale où toute activité est interdite, à la zone périphérique où toutes des réalisations sont autorisées mais qui doit impérativement se trouver en dehors des limites du parc. Or, l'autoroute doit traverser 3 zones de classe IV (zone tampon) et 4 zones de classe III (zones de faible croissance) où il faut conserver les milieux naturels en développement et où seulement quelques transformations peuvent être réglementées. Puis, il y a la classe V, la seule à pouvoir être traversée par des voies à grande circulation. C'est clair. Pour ce qui concerne le cas particulier d'El Kala, il existe, en plus, un arrêté interministériel de 1987 qui détermine les modalités d'intervention dans le parc et qui vient confirmer que les grandes voies de circulation doivent bien rester dans la zone périphérique. Toujours en 1987, il y a eu un premier tracé de l'autoroute qui traverse le territoire de l'aire protégée (c'était l'option A). Quand on s'est aperçu qu'il y avait là un parc national, il a été immédiatement prévu un tracé différent (l'option B) qui avait l'avantage, en plus de respecter la loi et l'intégrité de l'aire protégée, d'amener le progrès dans une région des plus reculées du pays, celle de Bouhadjar et ses environs. Elle coûte plus cher, c'est certain, mais seulement trois fois plus et non pas six comme il a été affirmé. C'est le surcoût à payer pour l'environnement. Celui que nous devons payer aujourd'hui pour ne pas à le faire payer plus tard à nos enfants et petits-enfants. C'est la solution pour avoir à la fois un parc national digne de ce nom et de sa renommée mondiale et une autoroute transmaghrébine, dont le prestige sera rehaussé pour avoir précisément tenu compte, au plus haut point, de la conservation de la nature. Certainement une première pour les pays comme le nôtre. Les impacts de l'autoroute posent en effet de sérieux problèmes au parc qui en a vu d'autres depuis sa création. Mais ces derniers se sont produits à l'intérieur de l'aire protégée, avec une étendue et des effets limités qui laissent des chances à la réversibilité des processus et la restauration des milieux. Ce ne sera pas le cas de l'autoroute qui viendra comme un corps étranger en surimpression sur le territoire. Comme un méchant coup de lame superficiel qui n'en sera pas moins mortel. Ce sera l'intégrité de l'aire protégée qui sera atteinte en profondeur et pas seulement cette partie visible en surface. On ne pourra plus dire et prétendre être riches d'un parc national digne de ce nom et y faire de la conservation selon les standards universels. Au mieux, on fera sourire, lorsqu'on ne passera pas pour un pays sans sérieux.Les standards universels sont ceux qui sont étudiés, expérimentés, proposés, discutés adoptés et recommandés par les conventions et les traités intergouvernementaux. Pour le cas du parc national Banff Canadien, cité par le ministre des Travaux publics, Amar Ghoul, les scientifiques de ce pays prétendent que « le taux actuel de morcellement des habitats et d'aménagement le long du couloir formé par la transcanadienne met en péril la survie à long terme de la faune du Banff. La route transcanadienne a de graves incidences sur les populations animales du parc, morcelant les habitats, faisant obstacle aux déplacements naturels ». (Echo de la recherche. Vol.5 n°1. 1997). Ce constat a été fait en 1996 bien après la mise en place des mesures « d'accompagnement », comme par exemple ces passages aménagés pour la faune qui n'ont d'ailleurs jamais été empruntés. Ce parc sollicite actuellement des études pour trouver de nouvelles solutions aux graves problèmes apparus avec l'autoroute qui, entre autres, « tue autant d'animaux que les chasseurs ». En plus, les parcs canadiens, comme ceux des USA, n'ont aucune commune mesure avec les nôtres. Ils sont immenses, beaucoup moins riches en diversité biologique, plutôt paysagistes que naturalistes et pas peuplés du tout. On paye pour entrer et se promener à l'intérieur comme dans un jardin public. En France, en Europe, les parcs sont zonés avec deux classes qui sont toujours concentriques. Il y une aire centrale, l'équivalent de nos trois premières classes, et la zone périphérique. Les voies de communication, lorsqu'elles les traversent, le font toujours dans la zone périphérique comme chez nous, à cette différence que leur zone périphérique fait partie intégrante de l'aire protégée. L'Algérie a opté, bien avant le rapport Brundland de 1992, et par la nécessité de subvenir aux besoins immenses de notre population, pour une approche ajustée aux notions de développement durable alors que ce concept ne faisait que prendre naissance et encore loin d'être galvaudé comme c'est le cas aujourd'hui.