Le choix Entre Bouteflika et la démocratie, les Algériens, à l'évidence, choisiront, comme tout bon citoyen d'ailleurs, ce qui est susceptible de garantir un avenir meilleur à leurs enfants. Aussi attachés qu'ils soient à la personne du Président, ils n'accepteront certainement pas de lui sacrifier le peu de ce qui reste de démocratie, incarné dans l'article 74 de la Constitution. L'article 74 Cet article est techniquement un véritable clapet anti-retour face à la résurgence et à la récurrence des dictatures et des absolutismes de tous genres. En plus, il est en réalité une sorte de protection contre toute perpétuation psychopathologique au pouvoir (un garde-fou ou figurativement, à l'algérienne, un chasse-goupille si ce n'est pas un arrache-clou de tout « mesmar Djeha »). La limitation des mandats est un principe républicain essentiel menant inévitablement, tôt ou tard, à la bonne gouvernance et à la démocratisation du pays. De toute évidence, la démocratie n'est, dans ses premières phases, que de l'alternance pure et simple. Rien ne pourrait refléter aussi bien la bonne santé politique d'une société que de croiser quelques-uns de ses ex-hauts responsables politiques, libres, tout fiers de leur probité, activant dans divers domaines et créneaux de la vie publique et sociétale. Ce petit, mais très significatif acquis démocratique est, en fait, la plus importante réalisation du président Zeroual avec sa fameuse décision de renoncer au pouvoir, bien sûr, qui aurait constitué, lui aussi, une première fort enrichissante à l'expérience démocratique de notre pays. Malheureusement, des chants funèbres s'élèvent, ces jours-ci, comme pour annoncer la triste mort d'un jeune marié, encore en costard de mariage, embaumé et tout frais : en effet, le très dérangeant article 74, l'unique garant constitutionnel de l'alternance, demeure, jusqu'aujourd'hui, « vierge », « blanc » et en attente d'une honorable première mise en application et surtout pas d'un coup de poignard assassin. Arrêt sur images Malgré le visage néocolonialiste, agressif et fort hideux des USA de Dick Cheney et de la clique des néocons, des arrêts sur images provenant d'outre-Atlantique nous laissent, nous autres Algériens, tout admiration, complètement impressionnés. Y a-t-il « démocratiquement » plus beau à voir que ces quatre ex-présidents américains assistant ensemble, en invités d'honneur, aux cérémonies d'investiture de J. W. Bush fils ? Messieurs B. Clinton, J. W. Bush père, J. Carter et le feu G. Ford étaient assis côte à côte avec les ex-premières dames bien sûr, décontractés tous, flamboyants, tout sourire, élégance et bonne santé. Décidément, ils ne peuvent prétendre avoir rempli leur mission sans tenir, en cette occasion publique précise, les mains de leurs épouses et les couver de tous les chaleureux sourires, de tendresse, d'amour et de gratitude. Aurions-nous la veine de voir, lors de notre misérable vie terrestre, de telles scènes se reproduire dans notre Algérie ? Malheureusement, c'est du domaine de l'irréalisme confirmé, le pouvoir actuel a manifestement d'autres modèles et références, tous ses yeux sont braqués, ailleurs, du côté de l'Orient féodal. La nature d'un pouvoir Dans un article publié par El Watan n°4 058 du 1er avril 2004, dans la rubrique « Idées et Opinions », nous avons écrit, à quelques jours près des dernières présidentielles, que cette équipe n'a pas l'air d'être préparée à accepter la défaite, et encore moins la relégation. Et nous avons ajouté : « ... Pourtant, tout ce qu'on demande, c'est qu'il (Bouteflika) nous laisse au moins nourrir l'espoir de le voir partir à la fin de son second mandat. Nous prendrons notre souffle avant de plonger dans ces quelques cinq années de plus... » Et comme tous les Algériens d'ailleurs, notre inquiétude était immense et justifiée pour nous demander : « Se contenteront-ils de ces dix années de présidence ? Ils ont suffisamment de temps pour amender la Constitution et lui régler son compte, surtout à cet article qui assure l'alternance, ne lui laissant même pas le temps de trouver même une seule fois application (...) » Si seulement, il a accepté d'exercer ses fonctions à quelques tantièmes. Lui-même a avoué que les prérogatives que la Constitution confère au Président sont démesurées et antidémocratiques pour le voir, ensuite, s'approprier de plus en plus de pouvoir et préparer une révision lui permettant de jouir du statut d'un véritable monarque absolu et à vie (...). Comme d'habitude, ils avanceront des raisons n'ayant rien à voir avec la raison. Comme d'habitude, le peuple sortira dans la rue, spontanément bien sûr, mais avec des walis et des chefs de daïra, chaque fois, à la tête des manifestations. Bouteflika sera prié de rester président à vie, (...) une révision constitutionnelle sera entamée à la demande des populations. Ce sont des mises en scène sordides et de mauvais goût qui sont devenues légion dans cette Algérie qui ne semble trouver sa stabilité qu'avec les dictateurs et imposteurs ! Voilà le combat auquel l'opposition résiduelle doit se préparer : « Faut pas toucher à ma Constitution ! » fin de citation. Loin d'être une déduction intelligente, la constatation de cet appétit démesuré au pouvoir caractérisant les dirigeants actuels est plutôt une amère lapalissade. De toute façon, l'égoïsme et la soif du pouvoir crachent toujours sur les sacrifices des nations. Qu'il soit donc clair : toute tentative visant à l'abrogation dudit article, sa modification ou sa simple reformulation, sera perçue comme un acte profanateur et de hooliganisme envers la démocratie algérienne déjà anémique et atrophiée. Les bouchers et les charcutiers Le plus étonnant c'est de voir toutes ces personnalités, qui se disent respectueuses et respectables, adhérer avec forte conviction à cette démarche scandaleuse. Ils sont, à cette heure même, préoccupés à finaliser minutieusement et avec un enthousiasme, pour le moins extraordinaire, un semblant d'argumentation entièrement étriqué et borné, tel un outillage de boucherie complètement encrassé et corrodé, ramassé pêle-mêle, pour immoler aux pieds du prince, comme un mouton de l'Aïd, le sacré principe même de l'alternance, le plus précieux acquis démocratique d'un peuple affligé et politiquement spolié jusqu'à l'os. Après quelques années seulement, ces mirages et simulacres d'arguments se dissiperont et leur souvenir deviendra si bizarroïde et incompréhensible aux yeux de leurs auteurs mêmes qui vont se trouver, tout de suite après, incapables de les reprendre et les remâcher intellectuellement pour justifier tous les efforts qu'ils ont déployés pour les faire gober par le petit peuple. La veille des élections législatives, dans une interview accordée au quotidien français Le Monde, Belkhadem, notre chef du gouvernement, avait dévoilé l'intention de son parti (le FLN) d'appeler à la révision de la Constitution en évoquant la possibilité de court-circuiter le peuple, car il s'attendait, dans ses faux calculs, à s'approprier une majorité parlementaire écrasante et suffisante pour offrir, sur un plateau d'or, libéralement, la présidence à Bouteflika pour un troisième mandat, suivi d'un quatrième et tout naturellement d'un cinquième et rebelote à vie. Voilà, de véritables actes de raidissement confirmés du pouvoir et ce n'est surtout pas l'écartement de Monsieur Ahmed Ouyahia, comme l'a écrit avec une partialité sautant aux yeux, Pierre Rousselin, dans un éditorial paru mi-octobre 2007 dans Le Figaro. Les deux chefs du gouvernement étaient et demeurent aux yeux de la majorité des Algériens des hommes liges, des personnalités effacées, anti-démocratiques l'un plus que l'autre, au service du prince et en concurrence meurtrière pour le satisfaire. À la question concernant ses propres chances pour décrocher, au cours de cette mascarade, le poste de vice-président, le secrétaire général du FLN répliqua par des rires... évidemment, très significatifs ! Plus qu'un affront, heureusement étaient les dernières législatives et le peuple se serait, spontanément, fait bien entendre s'il y avait au sein de ce régime de véritables hommes d'Etat, disposant d'un tant soit peu d'ouïe pour pouvoir intercepter tous ces bruits et grognements de rejet, de renonciation et de dégoût de tout ce qui est politique et d'une totale abdication aux mains et outillages des égorgeurs sans vergogne. Toutefois, personne n'est en mesure de deviner jusqu'à quelle limite pourrait, encore, nous conduire l'effronterie « patriotique » des uns et des autres ! Avec cette classe politique, il faut vraiment s'attendre à tous les insensés projets possibles, adoptés parfois avant même d'être finalisés sur papier, sauf bien sûr ceux inhérents au renforcement de la démocratie, renvoyés aux calendes grecques. Mais a-t-on le droit juridique, politique et surtout moral de toucher à une règle entérinée par le peuple avant qu'elle ne soit appliquée ? Quel avenir pensent-ils préparer aux générations futures ? Quel pays leur construisent-ils ? Qu'on se souvienne d'eux comme une légion de mercenaires qui a eu l'honneur de flinguer en pleine rue le principe constitutionnel de l'alternance... Qu'on écrive sur leur pierre tombale : « ci-gît Monsieur X, le valeureux qui a participé à la dernière, glorieuse et historique, razzia constitutionnelle ». Les pauvres insensés, ils n'ont pas assez d'esprit, en tout cas pour réaliser quel précieux ouvrage ils sont en train de détruire. Ils se trouvent intellectuellement bien sûr incapables d'apprécier les sacrifices payés par le peuple pour aboutir politiquement à cette règle si simple et si fondamentale. Cet arbuste est toute frêle pour supporter tous ces coups rustres. A-t-on le droit de mépriser à ce point son peuple et de bafouer tous ses sacrifices ? Absurdement, certains politiciens, par patriotisme soi-disant, le font retourner, chaque fois, au point zéro, comme s'il est écrit que le peuple algérien évoluera des siècles durant dans un cercle vicieux à la manière d'un écureuil tournant à l'intérieur d'une roue bien huilée, mais située dans une cage. Beaucoup de mouvements, de souffrances et de sang et zéro progrès. Et après Bouteflika ? Admettant que Bouteflika un phénomène exceptionnel, un soi-disant messie ou l'homme providence envoyé par le Tout-Puissant pour sauver ce misérable pays qui est le nôtre. « Et puis vint Bouteflika ! », avait écrit un certain veinard qui s'appelle Boukrouh, lâchant la direction de l'un des partis de l'opposition (PRA) pour se jeter sous le burnous du Président. Supposons, en outre, qu'il n'est pas religieusement permis et licite de le « remercier » constitutionnellement avant que sa mission divine ne soit menée à terme. Comment Belkhadem et ses collègues comptent-ils procéder une fois l'ère Bouteflika, après une longue et bénie présidence, aura pris fin ? Est-ce qu'ils entendent réintroduire l'article 74 ? Est-ce qu'ils projettent un retour au parti unique ? Feront-ils, cette fois aussi, comme si la faute incombait aux autres ? Qui protégera le peuple, après, de tous ces vautours présidentiables rôdant et planant dans notre ciel et nore paysage politique algérien avec des appétits du pouvoir pour le moins démesurés, jusqu'à l'abus pathologique à la Pinochet, Marcos, Ben Ali, Moubarak et tous les autres. C'est pourquoi, il faut le préciser mille fois, ce projet est démocratiquement inacceptable, pire, il est tout à fait scandaleux, car il porte une franche et injustifiée atteinte à l'honneur de la nation. Cette Algérie, est-elle à ce point qualitativement stérile pour ne pas pouvoir enfanter parmi tous ces grouillants millions de citoyens des hommes et des femmes honnêtes, patriotiques de la trompe de Bouteflika ? En abolissant le principe de l'alternance, ces politicards ne savent pas quel préjudice ils ont porté à leur patrie... Faut-il leur rappeler que l'histoire sera sans pitié envers ceux qui, par leur égoïsme étroit et aveugle, s'impliquent dans ce genre de manipulation macabre ? Ne les a-t-on pas vus, il y a quelques années seulement, œuvrer pour le septennat avec comme unique argument copier l'exemple français. Heureusement par contre-pied les Français ont opté, entre-temps, au quinquennat ! S'il leur était donné de choisir, les Algériens s'agripperont à leur démocratie et tout particulièrement au principe de l'alternance et refuseront d'entendre parler d'un quelconque amendement. Faut-il être intelligent pour deviner que la question référendaire sera posée autrement ? Belkhadem et les siens, se croyant comme toujours assez malins pour duper le peuple, feront tout lors du référendum de révision de la Constitution. Ils ont commencé déjà par nous assourdir avec l'énumération des vraies et des fausses réalisations du Président. Ils le font tourner au jusqu'au ridicule comme celui, dit-on, de décupler le prix du baril et de redorer le blason de la notoriété et du dynamisme de « je ne sais quelle » politique extérieure et le peuple aurait, en fin de compte, à choisir l'un des deux maux : « une nouvelle Constitution », c'est-à-dire l'abolition de l'alternance ou « le statu quo », sous-entendant le terrorisme sanguinaire ! Mille autres contradictions et absurdités se dégagent de leurs discours. Ne les a-t-on pas entendus dire que le terrorisme a été évincé ! Peu importe, l'essentiel pour eux est qu'ils soient sûrs de détenir le pouvoir de l'administration, du secteur audiovisuel, de l'argent et surtout la bénédiction et des Américains et des Européens, voilà d'où les régimes arabes actuels se procurent leur légitimité ! Il reste aux intellectuels, toutefois, aux journalistes et à ces autres démocrates convaincus l'espoir, le très faible espoir de toucher la sagesse de Monsieur le Président et de quelques rares hommes d'Etat, évoluant dans son entourage, pour couper court à ces appels de sirènes qui ne sont évidemment pas tous innocents. Peut-être courons-nous le danger d'avoir après Bouteflika un Président médiocre, pas suffisamment propre, d'une personnalité effacée, idiot comparé à Bouteflika, mais ce qui est sûr c'est que son passage sera temporaire, grâce notamment à l'article 74. Cette crainte est d'ailleurs universellement naturelle dans la politique et ne pourrait, en aucun cas, justifier un quelconque amendement de laConstitution. Et cette classe politique, dominante depuis l'indépendance, qui se montre aujourd'hui si sûre de l'inexistence d'un Algérien ou d'une Algérienne présidentiable, devrait normalement démissionner illico et changer d'activité et ne plus toucher au politique, car c'est de sa faute, selon sa propre logique, si la situation est telle ! Pourraient-ils prétendre pouvoir trouver successeur, apte et digne, à l'issue de ces quelques autres cinq années ! En vérité, toujours aux antipodes de Belkhadem et des autres dirigeants béni-oui-oui, nous avons le droit d'espérer que Bouteflika procède avant son départ au renforcement de ce même principe d'alternance et de limitation des mandats présidentiels, en le faisant constitutionnellement intangible et à l'abri de ses révisions dictées par les appétits et les intérêts claniques et personnels étroits, et pourquoi ne pas rendre la destitution du Président parlementairement possible par une majorité des deux tiers. C'est ce type de réalisation qui va conférer au Président le surnom de « père de la démocratie algérienne » et surtout pas la consolidation du régime présidentiel ou l'amendement de l'article 74. C'est avec ce genre de conseils sincères qu'on sert et le Président et la patrie. Après tout, dans le but de sauver la face et le peu de démocratie et calmer en même temps cette incontrôlable soif du pouvoir, Bouteflika pourrait imiter le président russe, Poutine, et essayer de propulser l'un de ses fidèles hommes à la magistrature suprême, ceci bien sûr s'il se juge incapable de prendre l'exemple de l'ex-président malien. En effet, M. Alpha Oumar Konaré, au terme de deux mandats consécutifs, pendant lesquels il a consolidé le processus de démocratisation, a préféré conformément à la Constitution céder, en juin 2002, la place à Amadou Touré. Chacun a une chimère qu'il poursuit. Pour un jeune Algérien, elle demeure et maintenant plus que jamais sous forme de visa d'immigration. L'auteur est universitaire