Brigitte Tsobgny a débuté sa carrière littéraire avec des contes et des histoires pour enfants et adolescents : Quand la forêt parle, Ponok-Ponok, Drôles d'histoires mathématiques ou Fotaku une petit mensonge de rien du tout. Celle qui s'est fait connaître dans ce type d'écriture simple mais qui exige beaucoup d'imagination, un savoir-faire et une technicité littéraire spécifiques, s'est tournée vers les adultes, car elle ne voulait pas être définitivement cataloguée « écrivaine pour enfants ». Le pari est gagné car, depuis quelques années, Brigitte Tsobgny, née à Dschang au Cameroun, publie des romans et des nouvelles dans un style à la fois réaliste et poétique et une narration fluide et limpide. Peu de promotion est faite autour de ses publications qui, pourtant, révèlent un certain talent et une sensibilité à fleur de peau. Cette écrivaine est à la fois dans le cru et le non-dit. Certaines scènes d'amour sont assez explicites, comme en ouverture du roman Amours tyranniques, où aucun euphémisme n'a cours. Les sentiments contradictoires de ces deux êtres déchirés sont dévoilés au fil des pages et leur psychologie accroche le lecteur, d'autant plus que le récit n'est pas linéaire. Deux voix, deux versions des faits et gestes de ces deux êtres qui s'attirent, se rejettent et n'arrivent pas à trancher. Construit comme un roman à tiroir, le discours narratif se déroule comme une pelote de laine que l'on défait et dont les fils laissent découvrir des vies cachées et insoupçonnées. La nature humaine recèle bien des secrets et c'est bien de cela dont il est question. Par exemple, Marine découvre avec stupeur que son père avait une double vie et un double emploi, ce qu'elle va découvrir juste après son décès en rencontrant sa maîtresse. Découverte d'amours impossibles, de trahisons, de faux-semblants, de désirs, d'amours authentiques, fausses, tortueuses, parfois simples mais souvent compliquées, un véritable tourbillon où les êtres se passionnent, s'empoisonnent, se suicident, s'abîment ou se délectent. Les personnages-clés de ce roman finissent par respecter les sentiments des uns et des autres. Est-ce cela la sagesse ? L'auteure laisse le lecteur trancher. Dans la vie réelle, Brigitte Tsobgny est docteur en sciences physiques, une discipline qui ne mène pas de prime abord à la fiction. Cela explique la thématique de son premier roman, intitulé Rats, où elle mêle science et littérature et produit un univers digne d'Aldous Huxley et empreint de Franz Kafka. Le lecteur pénètre dès la première scène dans le monde d'un laboratoire de recherche en biologie animale où les principaux personnages sont des animaux qui s'expriment, pensent et agissent. Deux chercheurs tentent une expérience sur le comportement des rats dans un milieu aseptique et codifié. Ils les analysent et les observent en leur imposant un rythme de vie réglé. Un jour, un surmulot, un rat d'égout, du nom de Mumu s'introduit dans l'animalerie et perturbe le train de vie réglé de ses semblables. Introduisant la réflexion, le rat d'égout affirme qu'il existe d'autres vies possibles au dehors et leur révèle qu'ils sont prisonniers des chercheurs qui ont sur eux un droit de vie et de mort. Ils deviennent conscients de leur statut de cobayes. Ce roman est écrit avec beaucoup d'humour. Le roman décrit les réactions vis-à-vis de la nouvelle situation et montre comment la connaissance provoque la rébellion. Le récit est une fable moderne sur le comportement humain et les nouvelles sociétés où l'homme croit être libre, manipulé politiquement et socialement comme en Afrique ou partout ailleurs, par les médias, la publicité, ou même une certaine forme de médecine qui ne recherche que le profit. Brigitte Tsobgny apporte avec ce récit tonitruant une réflexion originale sur la question du libre arbitre avec une issue optimiste. Ce qui me semble pertinent à relever chez cette romancière, c'est la mise de côté de la couleur de sa peau dont elle ne veut pas faire commerce. Elle refuse d'être cataloguée ou ghettoïsée. Sa volonté est d'être une romancière. Brigitte Tsobgny se veut universelle dans ce monde littéraire postcolonial. Brigitte Tsobgny, Rats (2004) et Amours Tyranniques (2006), les deux livres étant édités par Odin Editions, Paris.