Photo : S. Zoheir De notre correspondant à Bouira Nacer Haniche «Machahou, M'kidech, Teryel, Waghzen…» sont autant de vocables et de personnages mythiques qui ont marqué l'enfance de plusieurs citoyens et qui véhiculent une partie de notre patrimoine, à travers la manière de vivre et les conditions sociales des populations durant la période coloniale. Une richesse immatérielle patrimoniale qui a été transmise oralement par nos aïeux, notamment les mères à qui revient le mérite de protéger les traditions et les coutumes qui sont d'un grand apport à la définition de l'identité nationale. Cependant, depuis plus d'une vingtaine d'années, face aux mutations socio-économiques et aux changements enregistrés dans la vie quotidienne des citoyens, ainsi que l'avènement et la généralisation de nouveau moyens de communication et de distraction au niveau des foyers familiaux, ces repères culturels ancestraux, véhiculés à travers les contes et les légendes populaires, commencent petit à petit à céder du terrain. Parmi les jeunes personnes interrogées, rares sont celles qui savent le sens ou l'origine des vocables cités plus haut, pourtant très connus chez les adultes. Cela indique que, dans la cellule familiale algérienne, on communique mal et que les médias occupent un temps considérable dans la vie de tous les jours. Il ne reste donc pas de temps pour les histoires, les devinettes (timesaaraq), les bouqualate et les contes populaires. Ce riche patrimoine oral comportant un ensemble de valeurs socioculturelles s'ajoute aux objets traditionnels, ustensiles, habits et autres œuvres artistiques pour rappeler les conditions sociales, culturelles et économiques qui ont marqué les différentes catégories de la société par le passé. Une époque où, à cause de la famine et de la pauvreté, la maman s'efforçait de faire dormir ses enfants avec des contes, pour qu'ils oublient un maigre dîner, une époque où tous les membres d'une même famille prenaient du plaisir à s'asseoir autour du «kanoun». Mais actuellement, ce patrimoine s'effrite de jour en jour et il ne reste que des bribes de souvenir chez les adultes. Ainsi, tout semble évoluer au gré du matériel et des informations et programmes culturels divers consommés par commande manuelle. Au niveau de l'école qui est le cadre par excellence où les jeunes citoyens et les enfants peuvent se former et développer leurs connaissances dans les différents domaines, sans négliger les activités et les données (écrites ou orales) qui traitent de l'histoire et des multiples facettes du patrimoine culturel de leurs régions, les enseignants font remarquer que les élèves croulent sous le poids des matières et des programmes à étudier. Au même moment, pour les matières littéraires, il n'y a plus de textes ou d'histoires de référence à travers lesquels les éducateurs peuvent faire une extrapolation ou animer des activités qui se rapportent aux contes et aux légendes populaires. La majorité des cours se résume à des connaissances et des sujets tirés du mode de vie actuel ou à des thèmes ayant trait directement à la religion. D'autre part, la production de livre et le marché de l'édition peinent à s'imposer dans le domaine culturel et notamment en ce qui concerne le patrimoine immatériel. Selon des citoyens, les rayonnages des librairies regorgent de manuels et de livres qui décrivent des localités du pays (sur le plan géographique, historique, touristique et socioculturel), des personnalités historiques et des édifices historiques, mais les livres qui parlent de contes et de légendes sont rares. Sans entrer dans des considérations liées au marché du livre et à la production, un libraire a indiqué que le nombre d'auteurs qui se sont intéressés aux contes et aux légendes à travers le pays est minime. La majorité des contes populaires ont été oubliés, car ils n'ont pas été réécrits ou rassemblés dans des ouvrages, mais ce fait n'étonne pas nos interlocuteurs car, d'après eux, même l'histoire de la révolution reste encore à écrire. D'autre part, il n'y a rien qui encourage le citoyen à la lecture ou à s'intéresser au patrimoine immatériel. Ils indiquent que le mouvement associatif et la direction du secteur ont un très grand rôle à jouer dans la sensibilisation des citoyens, notamment des adolescents, à l'importance de ce legs ancestral d'une valeur inestimable.