Les experts qui ont planché hier sur la prévision et la prospective ont mis en relief le degré zéro de l'information économique en Algérie et par conséquent l'impossibilité structurelle d'envisager une planification. L'aréopage de séminaristes réuni à l'Institut supérieur de gestion et de planification (ISGP) a ainsi mis le doigt sur la plaie en concluant à un « déphasage » entre le système national d'information et de statistiques et les mutations économiques qu'a connues le pays. En termes simples, le tableau de bord économique de l'Algérie s'avère être un immense tableau de points de suspension et d'interrogation, nous disent les experts. Et c'est le représentant du ministère des Finances qui a planté le décor en relevant l'anachronisme des méthodes de collecte et d'analyse des statistiques de l'unique ONS. Cet office est ainsi confronté à « un problème d'adaptation aux mutations depuis le retrait de l'Etat de la sphère économique ». Quelle crédibilité doit-on donc accorder aux chiffres assez souvent gonflés de cet organisme officiel que les autorités politiques s'empressent de transformer en un argumentaire arithmétique solide pour convaincre d'une prétendue bonne gouvernance économique ? S'il est vrai que le débat sur cette question est aussi vieux que l'ONS lui-même, il n'est pas moins vrai que cette opacité, voire cette gestion à l'aveuglette de la chose économique fausse complètement l'équation nationale. Hier, les experts ont enfoncé encore le clou via ce constat peu enviable pour un gouvernement soucieux du devenir de son pays, à savoir que le système national d'information « souffre de lacunes et de manque de fiabilité en la matière, pourtant indispensable dans l'élaboration d'études de prospectives ». Voilà qui met à nu la gestion à tâtons de l'économie nationale et le gaspillage inconsidéré de l'argent du pétrole à cause précisément de cette incapacité chronique et historique à maîtriser une prévision ne serait-ce qu'à court terme. Les experts l'ont dit hier : « L'information économique et sociale constitue un facteur essentiel du développement et elle est donc nécessaire dans la conception des scenarii, projections et simulations économiques. » On efface tout et on… Faut-il, devant ce constat de carence, conclure que le développement reste le dernier souci de nos gouvernants qui préfèrent entretenir une économie rentière et bazardée au détriment d'outils statistiques modernes, fiables et viables ? Sinon pourquoi a-t-on maintenu un système d'information économique obsolète des années 1970 dans un environnement ouvert à la concurrence du privé ? Là aussi, le représentant du ministère des Finances a donné le la en affirmant que la nouvelle configuration économique, où le secteur privé est de plus en plus présent, ne s'est pas accompagnée d'une réforme de l'information économique et sociale. « Comme un boomerang, ce système archaïque rend moins facile la collecte de l'information économique. » Plus grave encore, la configuration actuelle du paysage économique « rend impossible la conception de simulations, prévisions ou prospectives ». Et à notre cadre des finances de trancher « qu'on peut émettre une idée mais sans pour autant en évaluer l'impact ». C'est-à-dire que l'efficacité ou pas d'une décision économique aussi grave soit-elle est vérifiée a posteriori et non pas a priori. Entre temps, des sommes colossales pouvaient être englouties dans un projet ou un investissement qui pouvait s'avérer non porteur… « En l'absence de statistiques fiables, il ne peut être évalué dans sa globalité toute réforme économique laquelle nécessite l'adaptation du système d'information pour permettre d'évaluer et projeter des scenarii afin de savoir si nous allons dans le bon sens et quels sont les secteurs prioritaires par rapport à d'autres. » Cet enseignement asséné doctement hier par un expert résume parfaitement les décisions et les contre- décisions prises dans la sphère économique et qui auront mis l'économie nationale en panne sèche depuis des années. La dernière en date étant le transfert de la tutelle capitaux marchands de l'Etat (SGP) du département de Temmar à tous les ministères après avoir tenté la trouvaille quelques mois plus tôt. Et c'est là tout le drame de la gouvernance économique à l'algérienne dans laquelle « l'à-peu-près » tient lieu de stratégie de planification.