Deux grandes figures d'Hollywood qui surent échapper aux pièges de cette grande machine Né en 1914, Richard Widmark est d'abord acteur de théâtre, à Broadway, à New York, donc loin des paillettes de la côte Ouest. Ce n'est qu'après la guerre, en 1946 qu'il rejoint Los Angeles, à 32 ans, précédé d'une solide réputation. Il y débarque au moment où explose un genre nouveau : le film noir. En 1944 en effet, coup sur coup, Laura d'Otto Preminger, Assurance sur la mort de Billy Wilder ou La femme au portrait de Fritz Lang, tous cinéastes immigrés, projettent l'image d'un pays névrosé à mille lieues du rêve américain. Richard Widmark connaît alors une célébrité fulgurante par le rôle de Tommy Udo, petite frappe déglinguée — opposé à Victor Mature — dans son premier film Le carrefour de la mort d'Henry Hathaway en 1947. Il renouvelle d'emblée ce type d'antihéros tragique et fatigué, perpétuellement en fuite, apportant une dose de méchanceté sarcastique avec un rire nerveux proche de l'hystérie qui sera longtemps sa marque de fabrique. L'Amérique se plaît à aimer ces personnages « au passé trouble et à l'avenir incertain », selon l'expression consacrée. Richard Widmark poursuit alors une carrière brillante et en 1950 enchaîne trois chef-d'œuvre du film noir avec les plus grands metteurs en scène du moment : La porte s'ouvre de Mankiewicz ; Panique dans la rue d'Elia Kazan et enfin Les forbans de la nuit de Jules Dassin, chronique désespérée d'un voyou minable dans un Londres cauchemardesque. Jules Dassin, ironie du sort, meurt la même semaine que son acteur, avait dû se réfugier à Londres pour y tourner ce film, troisième volet d'une « trilogie des bas-fonds » (après La cité sans voiles et Les bas-fonds de Frisco en 1948) où il impose un style semi-documentaire âpre, décrivant un monde brutal et sans concession. Pourtant, Richard Widmark eut l'intelligence de ne pas s'enfermer dans sa propre caricature. Il tourne un autre chef-d'œuvre du film noir avec Samuel Fuller en 1953, Le port de la drogue, et aborde un autre genre majeur, le western, dès 1954, avec La lance brisée d'Edward Dmytrik, réalisateur qui avait dénonçé quelques années auparavant Jules Dassin pour ses convictions communistes et l'avait obligé à s'exiler en Europe ! Le western est l'occasion pour Richard Widmark de changer d'image et de peaufiner un autre style, plus intériorisé. En 1959, il tourne le magnifique L'homme aux colts d'or (disponible en DVD chez Cadic), toujours de Dmytrik, avec Anthony Quinn et Henry Fonda. En 1961, sous la direction du grand John Ford, il tourne le magistral Les deux cavaliers, aux côtés de James Stewart, l'occasion d'une scène fameuse, un unique plan-séquence où les deux acteurs sont assis côte à côte au bord d'une rivière pour une longue et banale conversation. Widmark tourne enfin en 1964 l'avant-dernier film de Ford, Les Cheyennes, sorte de testament-hommage aux indiens, achevant de démythifier le western et partant l'Amérique. Widmark y incarne un officier de l'armée qui se rallie aux Indiens. Par la suite, il fut moins présent sur les écrans, jusqu'à son dernier film, l'intéressant True colors d'Herbert Ross en 1991. En quelques chefs-d'œuvre, Richard Widmark sera passé de la figure du psychopathe inquiétant mais poignant, révélateur de l'inconscient d'une société gangrenée par l'hypocrisie, au héros dramatique qui porte sur le monde un regard lucide et sait rendre justice à l'histoire.