Que ce soit à Alger ou ailleurs, la présence de la main-d'œuvre étrangère est perceptible. Significative. Sans doute dans des chantiers, au sein des entreprises..., les travailleurs étrangers sont nombreux. Bien plus qu'il y a dix ou quinze ans, lorsque venir en Algérie était assimilé à un voyage en « enfer ». Mais derrière les chiffres, présentés par les autorités comme l'argument massue du retour à la paix, il y a une réalité amère : la bureaucratie dont se plaignent nombre d'entre eux. Lorsqu'il s'agit de main-d'œuvre accompagnant les entreprises étrangères réalisatrices de projets de grande envergure tels que ceux du « un million de logements » ou de l'autoroute Est-Ouest, les verrous bureaucratiques se font moins sentir et les démarches sont simplifiées dans le cadre de contrats exceptionnels. Ce qui n'est absolument pas le cas des étrangers venant travailler en Algérie à titre individuel. Ceux-ci se retrouvent souvent coincés dans un circuit bureaucratique infernal dont seuls les plus déterminés en sortent indemnes. Un tas de paperasses et des allers-retours infinis aux bureaux de main-d'œuvre rien que pour arracher le sésame permettant à ces immigrés de travailler légalement sur le sol algérien. Pour obtenir un permis de travail, le postulant est appelé à effectuer une demande en bonne et due forme par le biais de l'employeur qui la déposera auprès de la direction de l'emploi de la wilaya. Des tonnes de documents La demande de permis de travail est obligatoirement accompagnée d'un rapport de l'employeur motivant le recrutement de ce travailleur étranger. Elle doit comporter une fiche détaillée de renseignements relatifs au travailleur étranger, les copies dûment certifiées, des titres, des diplômes ou autres documents probants de la qualification professionnelle de ce travailleur, les copies certifiées des documents attestant que l'entrée du travailleur en Algérie s'est effectuée de manière régulière, des certificats médicaux (examen phtisiologique), un exemplaire du contrat du travail et 8 photos d'identité. L'employeur doit également, pour le contrat de travail, fournir une copie certifiée de son registre du commerce, une copie des statuts de la société, une fiche CNAS, une copie de la carte fiscale et un engagement de rapatriement de l'employé en cas de nécessité. La liste des documents exigés est tellement longue qu'elle donne le tournis. Et elle reste ouverte, puisque certains travailleurs étrangers affirment avoir ajouté des pièces complémentaires exigées par des agents administratifs. « En plus des pièces définies dans le code du travail, je me rappelle avoir fourni un acte de naissance », dit un Français qui exerce, depuis plus d'une année, dans le domaine de la communication à Alger. « Mes démarches ont duré plusieurs mois. Je les ai entamées en juin 2006 et j'ai eu mon permis de travail provisoire début 2007 », souligne-t-il, affirmant que rien n'est fait pour faciliter les démarches. « Dès le départ, on se heurte à une machine administrative de ce qui a de plus caricatural. Si tu t'arranges à ramener un dossier complet, on t'inventera une pièce qui ne figure pas sur la liste. Il y a des moments où j'étais complètement abattu, je ne me sentais pas comme un être humain du fait notamment de l'accueil et du comportement de certains agents administratifs », lance-t-il avec un soupir qui en dit long sur sa déception. « Si je savais… » « Si j'avais su que je rencontrerais toutes ces difficultés, j'aurais certainement réfléchi à deux fois avant de venir. J'ai failli décrocher en cours de route », lâche-t-il. Ce Français, qui préfère s'exprimer tout en gardant l'anonymat, se demande si l'Algérie veut vraiment faire travailler les étrangers et attirer l'expertise étrangère. Après avoir obtenu le permis de travail, il est rentré en France où il a renouvelé son visa auprès du consulat d'Algérie à Paris. « La première fois, je suis venu avec un visa touristique d'une validité de trois mois. Maintenant, j'ai eu un visa de travail et j'attends toujours ma carte de résidence d'un an », se plaint-il. Ses déboires ressemblent à celles de Nadjim, un Marocain qui travaille dans le secteur des travaux publics. « J'ai peiné pour décrocher mon permis de travail. J'ai effectué d'innombrables allers-retours entre l'Inspection du travail et le bureau de main-d'œuvre étrangère. A chaque fois, on mentionne une pièce administrative qui manque ou des anomalies dans des documents fournis. Plusieurs fois, j'ai été au bureau de main-d'œuvre et je n'y ai trouvé personne pour me recevoir. C'était un calvaire », indique-t-il. L'expérience de Sofiane, un Tunisien spécialisé dans le secteur du tourisme, n'est pas non plus reluisante. Marié à une Algérienne et installé à Alger, Sofiane a fait des mains et des pieds pour obtenir son permis de travail après avoir eu un récipissé de dépôt de dossier pour une carte de résidence depuis 2005. En vain. « Après de longues démarches qui ont été couronnées par l'obtention d'une carte provisoir de résidence, j'ai engagé, raconte-t-il, la procédure pour le permis de travail. Mais jusqu'à maintenant, ma situation est bloquée. Aucune réponse, si ce n'est que le permis de travail n'est pas octroyé aux resortissants tunisiens pour fait de réciprocité m'a-t-on dit. » Ce ne sont là que trois exemples parmi de nombreux cas d'étrangers qui ont passé des mois à guerroyer avec les agents de l'administration avant qu'ils puissent obtenir leurs papiers. De l'avis de certains experts, la législation algérienne relative au travail des étrangers doit être actualisée et adaptée à la nouvelle donne qui fait que l'Algérie importe de la main-d'œuvre qualifiée. La priorité nationale est de mise Le principe général à la base de l'emploi d'un travailleur étranger est édicté dans la loi n°90-11 du 21 avril 1990 portant sur les relations de travail. La priorité nationale est, certes, mise en relief. L'article 21 de cette loi précise que le recours à la main-d'œuvre étrangère est autorisé uniquement lorsqu'il n'existe pas une main-d'œuvre nationale qualifiée. Autrement dit, pour qu'un étranger puisse être recruté en Algérie, il faut qu'il justifie de qualifications qui équivalent au minimum à un niveau de technicien. Il faut aussi que l'emploi pour lequel il postule ne puisse pas être occupé par un national résident ou émigré. Les conditions d'emploi des étrangers sont fixées, en fait, par des dispositions réglementaires datant des années 1960 : le décret 63-153 du 25 avril 1963 relatif au contrôle et au placement des travailleurs, puis le décret n°67-201 du 27 septembre 1967 - devant protéger la main-d'œuvre nationale. Cela, cependant, n'a pas empêché l'Algérie de signer des conventions et des accords bilatéraux avec des pays voisins, mais aussi avec la France pour mieux codifier la migration. L'accord sur la main-d'œuvre de 1968 et la convention sur la sécurité sociale d'octobre 1981 signés avec la France, pour ne citer que ceux-ci, instituent le principe de l'égalité de traitement des ressortissants des deux pays. Ainsi, par exemple, sont exempts du permis de travail les ressortissants algériens en France. Une mesure dont doivent bénéficier, au nom de la réciprocité, les Français en Algérie. Mais cela n'est pas le cas. Les Français sont contraints de se faire délivrer un permis de travail pour demander une carte de résidence. « Alors que le contrat de travail dûment certifié par l'employeur devrait suffire », nous explique un spécialiste de la législation du travail. La non-application du principe de réciprocité est soulevée dans certains cas de ressortissants tunisiens et marocains. L'Algérie a, certes, signé des conventions relatives à l'immigration avec le Maroc, la Tunisie et la Libye, mais ces conventions ne garantissent pas le droit à l'emploi. Elles sont restées muettes sur le principe d'égalité de traitement avec les nationaux. Ainsi, malgré des déclarations ambitieuses, l'intégration maghrébine reste laborieuse, grevée par des questions politiques.