La voie ferrée continue de descendre après Bordj Bou Arréridj de sorte que peu à peu l'on se sent revivre. L'homme n'est pas fait pour respirer en… Hauts-Plateaux (les habitants de Bordj et de Sétif se sont habitués, pas moi !) En s'installant à plus de 700 m au dessus de la mer, les Français colonisateurs durent se gonfler les poumons d'un air raréfié, et la bonté humaine se dessécha en eux comme une fleur introduite dans un récipient où l'on fait le vide. Résultat : ces malheurs du 8 Mai 1945, où des milliers de colons et de soldats, cherchant l'air raréfié, ont massacré 45 000 pauvres Algériens cherchant la… liberté ! Près de la ligne ferroviaire, se disputait un match de football ; la moitié des joueurs se contentaient de se rouler sur l'herbe. Dans des petites baraques, on vendait des bonbons et des jus de fruits en plus de Coca-Cola bien… sûr ! Entre les poteaux de but, le gardien se dressait comme une statue… A Bouira, les marchands d'olives et de casse-croûtes couraient le long du train en criant : « Olives, casse-croûtes ! » Pour 50 DA, et même moins, vous pouviez acheter un… repas ! Le compartiment se mit à embaumer autant qu'une serre chaude : des odeurs de merguez de 24h et de l'huile d'olives ou d'olives de trois mois de conservation ! Ici, l'on pouvait dénombrer ses trésors : ravissantes mosquées mauresques, confiance en Allah, olives et merguez pourris… on était imprégné du goût de la vie, avant que la route ne se perdît sans espoir de retour, avant qu'elle ne plonge dans la plaine fiévreuse et torride. Ce moment passa presque aussi vite qu'un rêve, qui, à en croire la tradition, ne dure que quelques secondes : à Lakhdaria, des hommes bien habillés montèrent dans le train. Comme le son enroué de la cloche qui tinte le long de l'escalier de pierre d'une école, ce fut le signal d'un jour nouveau. Ils fixèrent une banderole à l'extérieur de la voiture, se penchèrent par les portières et crièrent : « Vive Bouteflika, vive troisième mandat ! » Des jeunes coléreux et… sales arrivèrent d'on ne sait d'où, allongèrent leurs bras, tirèrent la banderole avec violence et… crièrent aux visages des hommes bien habillés : « J'en ai marre, allez vous faire f…, laissez-nous… notre train tranquille ! »