Près de 170 victimes de violences, dont 44 blessés par balle, à Haïti. 40 morts au Cameroun. Deux morts à Abidjan. Un mort en Egypte. Des blessés et des centaines d'arrestations au Burkina Faso et au Sénégal. Des manifestations à Mexico et au Yémen. Un dénominateur commun : ce sont toutes des victimes des émeutes de la faim. La flambée des prix des produits alimentaires (blé, maïs et sucre) de ces derniers mois a créé un véritable « choc alimentaire mondial » mettant ainsi des pans entiers de la population de la planète dans une situation des plus alarmantes. Touchés de plein fouet, les pays africains, plus vulnérables que jamais, sont décidément les premières victimes d'un nouvel ordre mondial placé sous le signe de « carburant contre nourriture ». Des cris d'alarme fusent de partout. Un « choc alimentaire mondial », c'est ainsi que Louis Michel, commissaire européen au développement et à l'aide humanitaire, qualifie la crise qui frappe actuellement les pays en voie de développement, le continent africain en premier lieu. « Les pauvres subissent tous les jours l'impact de la hausse des prix alimentaires, surtout dans les zones urbaines et dans les pays à faible revenu », a déclaré le président du groupe de la Banque mondiale (BM), Robert B. Zoellick. « Dans certains pays, les avancées réalisées de haute lutte sur le front de la réduction de la pauvreté risquent à présent de s'inverser. Nous autres membres de la communauté internationale devons réunir nos forces non seulement pour fournir un appui immédiat, mais pour aider les pays à définir des mesures et des politiques en vue de réduire l'impact de cet état de fait sur ceux qui, dans le monde, sont le plus vulnérables. » Même son de cloche au niveau de la FAO, du FIDA et de l'ONUDI qui réclament à l'unisson des mesures « urgentes » en vue de réduire la pauvreté et résorber la malnutrition, tout en mettant en exergue le rôle que peut jouer l'agroindustrie dans certains pays à risque. La BM avait alerté récemment des risques de tension sociale que provoquera la hausse des prix des produits alimentaires. Des risques qui pèsent sur plus d'une trentaine de pays, a-t-elle estimé. Jeudi, une note de cette institution internationale fait savoir que la détente n'est pas pour demain puisque les prix « risquent de se maintenir à des niveaux élevés sur le moyen terme ». Le Fonds international pour le développement agricole (FIDA) prévoit pour sa part « une évolution structurelle à la hausse ». De quoi nourrir encore plus la colère des émeutiers de la faim, décidés à en découdre avec un nouvel ordre mondial où ils n'ont plus droit de cité. « Les pauvres ne font pas seulement face à une hausse des prix alimentaires, mais aussi à celle des coûts de l'énergie, et c'est là une combinaison de facteurs préoccupante », a souligné Danny Leipziger, vice-président de la BM pour la réduction de la pauvreté et la gestion économique. Selon la BM, la hausse des prix du blé s'est chiffrée à 181% sur les 36 mois qui ont précédé février 2008, et que les prix alimentaires mondiaux ont au total progressé de 83%. Pour ce qui est des perspectives d'avenir, on s'attend à ce que les prix des cultures vivrières restent à des niveaux élevés en 2008 et 2009 pour amorcer ensuite un recul. Mais dans la plupart des cas, ils resteront probablement bien supérieurs à leur niveau de 2004 jusqu'en 2015. Carburant contre nourriture Expliquant une telle frénésie des prix, la BM estime que l'accroissement de la production de biocarburants a contribué à la flambée des prix des produits alimentaires. « Les craintes suscitées par l'évolution des prix pétroliers, les impératifs de sécurité énergétique et le problème du changement climatique ont en effet amené les pays à accroître la production et l'utilisation de ces nouveaux carburants, ce qui a entraîné un surcroît de demande de matières premières telles que le blé, le soja, le maïs ou l'huile de palme », estime cette institution. Une flambée expliquée aussi par « la hausse des prix de l'énergie et des engrais, l'affaiblissement du dollar et l'application par certains pays de mesures d'interdiction des exportations ». Pour sa part, le directeur de la FAO a attribué une part de la responsabilité de la hausse des prix « à des actions spéculatives malheureusement inévitables » sur les marchés nationaux ou internationaux comme le marché des céréales de Chicago. Quant aux mesures à même de remédier à une telle situation, la BM a indiqué que certains ont entrepris de renforcer leurs filets de protection sociale ciblés sur les groupes vulnérables, qu'il s'agisse des programmes de transferts monétaires, de vivres contre travail, ou d'aide alimentaire d'urgence. Plusieurs ont abaissé les tarifs et autres taxes sur des denrées essentielles pour donner un peu de répit à leurs consommateurs. Par contre, d'autres ont pris des mesures pour interdire les exportations de certains produits, ce qui se fait, croit-elle savoir, au détriment des pays importateurs de produits alimentaires et, au plan interne, réduit les incitations destinées à leurs propres producteurs. La FAO, qui dit avoir débloqué 17 millions de dollars pour renforcer sa structure d'aide aux pays les plus affectés, compte alerter les pays membres de l'organisation et les bailleurs de fonds internationaux pour rassembler les 1,2 à 1,7 milliard de dollars nécessaires pour mettre en œuvre ses programmes d'urgence. Une conférence des chefs d'Etat et de gouvernement sera organisée début juin à Rome pour examiner les défis pressants qui pèsent sur la sécurité alimentaire mondiale afin d'adopter les mesures nécessaires.