Il ne fait pas bon vivre dans cette commune qui manque de tout, selon ses habitants. Les Issers, une commune qui tire son nom du mot berbère « Ighzer » (oued), est située à 60 km à l'est d'Alger, à 40 km à l'ouest de Tizi Ouzou et à 23 km à l'est de Boumerdès, le chef-lieu de wilaya à laquelle elle est rattachée depuis le découpage administratif de 1984. Elle est traversée par deux oueds importants : l'oued Isser et l'oued Djemaâ qui, venant des montagnes de Beni Khalfoun au sud, se jette dans l'oued Isser. Depuis sa création en novembre 1871, cette ville stratégique et très riche en événements historiques, a subi de profonds changements et a enregistré une croissance accompagnée parfois d'embûches et d'incohérences. De petite ville qu'elle était dans les années 1960, Isser s'est transformée, en un laps de temps, en un important centre urbain à l'échelle de la wilaya. Lorsqu'il fait beau, les différentes artères grouillent de monde et un véritable mouvement s'empare, comme d'habitude, du marché hebdomadaire. Un important marché dont l'histoire remonte au IXe siècle et qui se tient chaque jeudi, depuis 1886, sur la rive droite de l'oued Djemaâ. Etendu sur une surface très limitée, ce souk intra-muros, auquel la commune doit en partie son développement est le plus important de toute la région. Des bruits sonores dus à la célèbre vente à la criée s'amplifient avec le brouhaha et les interminables discussions des marchands. Ici, les produits sont tellement chers que la majorité des clients en ressort bredouille. Le côté réservé aux marchands de bestiaux n'arrive plus à contenir le nombre important de bêtes proposées à la vente. A l'issue de la journée, ce marché devient la source d'une grande pollution. La saleté partout. Les amas de détritus. Les ordures jonchent tous les coins : spectacle navrant, odeurs nauséabondes. « Vous voyez, ces déchets et cette saleté qui prend de l'ampleur, resteront comme ça jusqu'à la semaine prochaine et la solution à ce problème n'est pas pour demain », lance un détaillant d'épices qui déplore l'implantation dudit marché au centre-ville. L'espace couvert qui abrite 20 étals de fruits et légumes s'est transformé en un petit marché pour les « trabendistes ». Des boutiques sont accolées aux murs intérieurs sans qu'aucune autorité ne daigne lever le petit doigt. « Bientôt nous allons transférer le marché de bestiaux et nous ferons tout pour remettre de l'ordre au marché couvert », déclare le P/APC Omar Chetta, élu sur la liste des indépendants. Au sortir, c'est le boulevard Amirouche, le plus long de toute la commune. Le laisser-aller, conjugué à l'absence d'autorité ont fait que la chaussée est partiellement accaparée par les propriétaires et les boutiquiers avides d'espace. Un fait qui est devenu, désormais, une constante chez tout commerçant. Des citoyens attablés autour d'un café parlent « politique », notamment sur les nouvelles de la région. Au début de la colonisation française, la commune était constituée de groupements de tribus qui vont se transformer et devenir de grandes agglomérations dont le nombre dépasse une dizaine aujourd'hui. La population des Issers dépasse les 35 000 habitants, et sa surface est de 67,03 km2. Chaque village a son association qui a comme première tâche de régler tous les problèmes et les difficultés auxquels font face les villageois, et ce, en collaboration avec les autorités locales. Les problèmes Cité des 104 logements, toujours boulevard Amirouche, deux jeunes adossés au mur nous parlent de leur ville : « Nous avons vu que des travaux d'aménagement urbain et de peinture ont été effectués de manière superficielle. Nous voulons du concret. Allez voir nos cités, elles sont trop sales et notre cadre de vie est tellement menacé », lance Sofiane, un habitant de la cité, qui déplore le manque d'eau potable dans sa cité, et ce, en dépit de leur raccordement au réseau de Taksebt. « C'est terrible qu'une ville dont le budget communal uniquement atteint 20 M DA n'arrive pas à se défaire du phénomène de la saleté qui la pourchasse depuis plusieurs années », lance Farid en soulignant que le développement passe d'abord par une victoire sur l'insalubrité. A quelques mètres d'ici, un projet de logement à la traîne attire les regards. Ce sont des coopératives. Un projet qui est abandonné depuis le séisme de mai 2003. « C'est trop compliqué, et si enquête il y aura, on découvrira qu'il y a à boire et à manger », tempête un groupe de jeunes à l'unisson. De l'autre côté, des locaux commerciaux viennent tout juste d'être achevés. 70 au juste. Ils seront attribués incessamment, dit le P/APC en précisant que le reste est à 20% d'avancement. Mais qu'en est-il du projet des 320 logements implantés à la sortie sud de la ville, dont 126 ont été attribués depuis des mois ? Les habitants s'interrogent sur les retards qui n'ont que trop duré, tandis que le P/APC annonce 20 logements sociaux qui seront attribués prochainement. « J'habite dans une maison que j'ai louée à un particulier depuis que les terroristes ont subtilisé mon arme, en 2002. Et je n'ai jamais cessé de réclamer un chalet où loger ma famille, en vain », se plaint Rabah Mézir, un fils de chahid et membre des GLD de Timezrit rencontré devant le siège de la daïra. Dans cette commune, les problèmes liés à l'environnement, au logement, à la santé sont légion. Les habitants parlent du stade qui n'est pas aménagé depuis 1923, date de sa construction par les Français et de la salle omnisports qu'ils attendent depuis trois ans. Ils réclament l'hôpital qu'on leur a promis depuis des années et une piscine qui tarde à être réalisée. Les villageois se plaignent quant à eux, de l'état des routes desservant leur village, notamment l'axe reliant les villages Bouider et Chlouth au chemin de wilaya n°151, et celui reliant les villages Iouanoughen et Aït Sidi Amara, à la limite de la commune de Timezrit. En somme, il y a des manques dans tous les domaines, s'accordent à dire les citoyens qui nous invitent à parler de l'hôpital et de la salle de cinéma. « Personne n'a jugé utile d'ouvrir la salle de cinéma de la ville pour ressusciter les journées théâtrales de la ville d'Isser d'antan », dira Moussa, le président de l'association Cirta avec un profond désarroi. Mêmes doléances, même spectacle et mêmes revendications au niveau des cités 48, 32 et 82 Logements du chef-lieu. Construites anarchiquement et sans aucune harmonie ça et là sur des terres agricoles sans aucune étude, ces cités ont complètement déformé cette ville qui était autrefois la perle de la Mitidja. A la cité Chabani, on parle de risques de maladies à transmission hydrique (MTH) depuis les dommages causés à la conduite des eaux usées. Les constructions illicites, elles, sont légion aux Issers. Comme à la cité dite Lotissement qui longe l'axe routier menant vers Timezrit, des habitations d'autogestion implantées au village agricole. L'habitat précaire se concentre surtout sur le bas-côté d'Isser-ville, une paisible et petite agglomération qui a été construite pendant la colonisation française. Là encore, on assiste à un véritable désastre urbain. Les constructions illicites et les bidonvilles implantés sur des terrains fertiles font le décor. Pour le P/APC, ces problèmes sont hérités de l'assemblée sortante. Il est utile de souligner dans ce cadre que l'on n'a pas connu de bilans positifs depuis au moins dix ans à Isser. L'ex-P/APC FLN a fini son mandat avec un bilan horriblement vide, tout comme son prédécesseur du FFS, vous diront les habitants de la commune. Inévitablement le chômage Dans cette commune, le taux de chômage avoisine les 50%. « Les seules activités qui restent à portée de la main sont les travaux saisonniers de la terre, faute d'entreprises ou autres projets pouvant absorber le chômage », fulmine un jeune de la localité. « Je n'ai ni souvenir ni avenir. Ma vie, je l'ai passée au noir, et je n'ai qu'une motocyclette que j'ai achetée au noir. Ecrivez-le, je vous en supplie... », se lamente Mohamed. Allez voir en face de la cité coopérative « el hafioune dar hala » ( la drogue fait des ravages), enchaîne Sofiane en évoquant l'absence des autorités. Les autres tuent leur temps dans les cafés tout en nourrissant l'espoir de se voir recrutés un jour par le nouveau P/APC. D'ailleurs, on dit de lui qu'il a recruté beaucoup de jeunes. « Nous avons pu recruter 450 chômeurs dont 150 sur le budget communal, en dépit du préjudice fiscal de notre APC », indique M.Chetta. Mais, en dehors de cela, l'APC n'a rien à offrir tant que la situation économique du pays est incertaine. « Nous avons inscrit un projet d'extension de la zone d'activité et programmé l'installation d'un groupe industriel de produits pharmaceutiques qui emploiera au moins 500 ouvriers », ajoute-t-il. L'unité de produits pharmaceutiques et d'hygiène corporelle (Socothyd) qui emploie plus de 680 travailleurs et la société de production de biscuits (Isser Délice) qui fait travailler quelque 200 ouvriers restent les seules entreprises performantes de la commune. Par ailleurs, malgré ses riches plaines, l'agriculture est simplement abandonnée par les habitants de cette région. L'agriculture est morte. On parle du manque d'engrais. La semence est déjà problématique. L'Etat n'aide plus les fellahs, crient quelques agriculteurs à l'unisson. « Du temps de l'occupation française, ces terres nourrissaient même les Européens », assène un ex-fellah ridé et courbé sous le poids des années et de la misère. Aujourd'hui, cette activité se limite aux champs de vigne et aux cultures spéculatives tels le melon et la pastèque. Même le tabac qui autrefois était cultivé dans la région n'est plus visible dans les champs. Les résultats de cette situation commencent à se faire sentir à l'échelle nationale et une vraie politique agricole est plus que nécessaire. Tamlakmet, un autre village perdu Tamlakmet, un petit village situé à trois kilomètres environ au sud des Issers, est abandonné depuis des années par ses habitants, après avoir été marginalisé par les autorités et isolé par les eaux des oueds en hiver. Aujourd'hui, il est occupé à nouveau par les habitants venus de Djelfa et de M'Sila, apprend-on auprès de quelques citoyens. « Nous n'avons que de l'électricité, sans plus, pas d'éclairage public bien sûr », nous dit un habitant du village. Ainsi, ces habitants vivent dans l'isolement et un dénuement des plus absolus depuis l'effondrement du pont desservant leur village, au milieu des années 1990. « Pour traverser l'oued en hiver, nous sommes toujours obligés de chausser nos bottes ou nos shorts. Les filles, elles, ne peuvent s'y risquer », explique Rabah qui a quitté le village depuis deux ans. Ceux qui restent n'ont pas trouvé, selon lui, où aller. Ils s'occupent forcément du travail de la terre. « Tous les maires qui se sont succédé à l'APC ont promis la reconstruction du pont, en vain. L'actuel n'est pas revenu depuis des mois, pourtant il a filmé notre village pour mieux voir dans quelles conditions nous vivons, tous nos problèmes », disent les habitants. A chaque fois que nous venons réclamer la reconstruction du pont, on nous invoque le barrage, un projet qui est pourtant « tombé à l'eau » depuis des années. Le calvaire dont souffre ce village illustre parfaitement la gestion défaillante des responsables locaux, toutes tendances confondues. C'est pourquoi plus personne ne croit aux promesses, à plus forte raison lorsqu'elles sont faites à la veille des échéances électorales.