A partir de détails infimes, Fatiha Nesrine nous entraîne dans les cercles du doux-amer. Comme dans toute littérature, il existe des livres simples, légers, qui ramènent aux choses vécues. C'est ce que nous raconte Fatiha Nesrine dans son livre La baie aux jeunes filles. Dans la vie qui passe, qui avance, qui ne s'enfuit pas, la narratrice qui a exercé comme linguiste et pédagogue, ne cesse de faire son entrée de différentes façons : par les souvenirs de jeux, les rencontres avec Ahmed, le fou du quartier ou le géant imaginé qui fait peur la nuit lorsqu‘à « l'heure du sommeil, de toutes les maisons du quartier s'élèvent les mélopées, avec les mots dans la bouche des femmes à l'heure des femmes ». C'est le cadre d'une enfance qui nous est narrée en toute humilité dans une émouvante chronique, parue il y a deux ans mais découverte récemment. La rancœur du père dans le silence des repas, les soucis de la mère qui inquiètent la jeune fille dans un orage qui n'éclate pas. La jeune fille veut alors combler le fossé qui la sépare de son père et de sa mère. On ressent au fil de la lecture, une concentration totale, une tension extrême pour arracher la phrase juste, cibler les personnages ou les paysages au plus près. Comme par exemple ce mur décrit sur plusieurs pages, un simple mur qui tient lieu de personnage au pied duquel pousse une herbe entêtée que le plus violent des orages n'emporte pas. Et cette fourmi emportée par un jet de tuyau d'eau, qui panique, se noie, se redresse et repart sous le regard émerveillé de la jeune fille. Dans ce livre, on se laisse aller dans une atmosphère accueillante. Cette jeune fille, c'est un peu l'histoire de son temps, à la fois témoin des évènements qu'elle raconte et seule maîtresse des belles images par lesquelles elle impose l'ordre et le rythme de sa poésie. Dégraissée de tout effet stylistique, l'écriture est un condensé d'atmosphère et de sentiments. dans des moments de grâce fugaces où tout semble parfait, chaque chose à sa place et soi-même enfin en harmonie dans cet éclat d'espace-temps. Quel plaisir qu'une tranche de pastèque l'été lorsqu'on est assis parterre les pieds nus sur le carrelage frais ! Les mots servent à cela, à retenir les instants enchantés où le monde coule dans l'insouciance, à écrire ce temps suspendu pour qu'il atteigne l'éternité. Et qu'est ce que l'enfance, si ce n'est une éternité ? Plus loin, l'auteur évoque les sensations heureuses des femmes dans la baie, la grand-mère qui raconte la venue de l'ancêtre et la volonté d'une mère qui noierait un océan. On sent dans certains passages des moments de rumination ou la narration prend des coups de soleil dans des pages douces-amères, douces de les avoir vécues, amères de les avoir quittées. La Baie aux jeunes filles. Fatiha Nesrine. Ed. L'Harmattan (Paris) Thala (Alger). 2006.