La plaie est béante. Lors d'une conférence sur le thème des harraga organisée hier au forum d'El Moudjahid, l'avocate Fatima-Zohra Benbraham a jugé « scandaleux » le fait de condamner les jeunes harraga à des peines de prison ferme. Ces jugements sont d'autant plus incompréhensibles, selon elle, qu'il existe un véritable vide juridique sur ce phénomène. « Tous les jugements qui ont été rendus sont illégaux et irrationnels », a-t-elle tranché. Elle réclame une « amnistie générale » de tous les harraga jetés en prison. Le phénomène des harraga n'est pas correctement pris en charge. Il serait important, a estimé la conférencière, « d'établir une communication avec notre jeunesse pour déterminer ses besoins et ses maux ». « Quel crime ont-ils commis ? Au lieu de sanctionner, il faudrait essayer de comprendre les sources du mal », estime Me Benbraham. L'avocate insiste sur le silence de la loi sur ce phénomène. Elle met en exergue toute l'incongruité de ces condamnations. « Si la personne est interceptée dans les eaux territoriales, elle n'a pas à être sanctionnée. Si elle se trouve dans les eaux internationales, on doit lui sauver la vie. Si elle se trouve dans les eaux territoriales espagnoles, françaises ou marocaines, il y a infraction mais la personne en question est dépendante des lois de ces pays. Ce n'est pas à l'Algérie de faire un procès aux harraga », explique-t-elle. Les harraga devraient, selon elle, être considérés comme des victimes et non pas des criminels. « Cet enfant qui avait 10 ans en 1992, qu'a-t-il vu, qu'a-t-il entendu ? La politique d'enseignement n'a pas été convenablement orientée. La fermeture d'usines a entraîné le chômage. Nous sommes en pleine phase de paupérisation. Et quand on devient très pauvre, tout est permis pour survivre », affirme-t-elle. Et d'ajouter : « Pour ces jeunes, il y a généralement trois options. Ils ont le choix entre le terrorisme, le crime organisé et la prostitution. Mais il y a des jeunes qui, malgré la misère, préfèrent garder leur honneur. Pour prétendre à une vie meilleure, ils ont choisi la harga. Ils n'ont fait aucun mal à leur pays ». Elle se dit « étonnée » du fait qu'au moment où l'on dit que les « caisses de l'Etat sont pleines », ces jeunes doivent se battre pour un morceau de pain. « J'ai discuté avec des jeunes ayant essayé de quitter le pays dans des embarcations de fortune. Ce qu'ils veulent c'est surtout gagner de l'argent et revenir au pays pour se marier », souligne Me Benbraham. Elle rappelle que le premier cas de harga date de l'année 1926. « Il s'agissait d'une cinquantaine d'Algériens qui fuyaient la misère et l'oppression coloniale. Ils ont emprunté un bateau à vapeur et se sont réfugiés dans la cheminée. A leur arrivée à Marseille, seulement 16 d'entre eux étaient encore vivants », raconte-t-elle. Cheikh Chemseddine a estimé que la « hogra » et la harga sont intimement liés. En réponse aux « fetwas » contre les harraga, il affirme : « Ce jeune qui a bravé les dangers de la mer n'a rien du profil du suicidaire. Au contraire, il s'agit d'une personne qui aspire à la vie. »