Il n'y a pas de plafond dans l'habitat rural. Consommez vos quotas, on vous affectera de nouveaux programmes », avait lancé un responsable de l'administration de la wilaya aux présidents d'APC au lancement de l'opération, début 2005. Trois ans plus tard, la majorité des communes, notamment celles situées en haute montagne, affichent un taux de réalisation qui oscille entre 10 et 20%. Le dispositif, mal expliqué, engageant de nombreuses administrations, avait longtemps fait du surplace avant de connaître un début d'exécution. La première subvention affectée en totalité a été enregistrée en juin 2006 dans la commune de Timizart, près d'un an et demi après le lancement de l'opération. Fin 2006, soit deux ans après la notification du programme, moins de 1% de réalisation a été enregistré dans la wilaya de Tizi Ouzou (133 bénéficiaires avaient perçu les trois tranches de la subvention). Devant les retards énormes enregistrés dans ce dossier, l'administration de wilaya, sous les injonctions du gouvernement, donne un coup de fouet aux « services déconcentrés » de l'Etat, sommés de desserrer l'étau bureaucratique autour de ce programme. Au 15 avril dernier, le taux de réalisation au niveau de la wilaya était de 23,5%, avec 4711 logements construits sur un quota de 20 000 subventions allouées par l'Etat au titre du programme quinquennal 2005-2009. Un frémissement des chiffres qui n'a pas comblé les retards accumulés ces trois dernières années. L'habitat rural, c'est le seul secteur où les présidents d'APC affichent, sans complexe, leurs mauvais résultats. Ils savent qu'ils sont le dernier maillon d'une chaîne bureaucratique d'une rare lourdeur. Engagé dans le programme sans aucune condition, sur simple présentation d'une demande et d'une pièce d'état civil, le postulant sera embarqué dans un long processus où il sera « filtré » pendant des mois, suspendu au travail laborieux de quatre administrations (APC, daïra, wilaya, CNL). En phase de réalisation, le « bénéficiaire » est tenu d'achever 20% de sa construction avant de prétendre à la première tranche de la subvention. S'il manifeste des signes d'essoufflement, il est mis en demeure et parfois « éliminé » du programme. Dans ce cas, il se retrouve lâché dans le vide, dans tous les sens du terme. Le demandeur se voit privé de subvention, après avoir engagé un lourd investissement dans le dossier technique et les premiers travaux. 3100 remplacements ont été effectués dans la wilaya de Tizi Ouzou, sur un programme de 20 000 aides publiques, soit un taux de 15,5% de mauvais départs. Dans la commune de Yattafène, daïra de Ath Yenni, à 50 km au sud-est de Tizi Ouzou et à 1000 m d'altitude, l'on enregistre 73 annulations et 18 désistements sur 347 postulants. Ce qui donne un taux d'annulation de 26%. Un demandeur sur quatre est remplacé, par éjection ou pour désistement, et seulement un bénéficiaire sur 8 a pu finir sa maison. La troisième tranche de la subvention a été débloquée pour 33 bénéficiaires sur un quota de 250 aides allouées à la commune, donnant un taux de réalisation de 13,2% (chiffres recueillis en avril dernier). C'est l'un des plus bas niveau à l'échelle de la wilaya. Surcoûts en haute montagne Les 5000 habitants de la commune vivent sur 16 km2 de montagne et de forêts. Les techniciens de l'APC donnent des indications sur les efforts consentis dans la construction d'une maison sur ces reliefs montagneux : « Les terrassements coûtent environ 100 000 DA jusqu'à 200 000 DA quand c'est rocheux. Il faut évacuer les terres pendant une semaine à 3000 DA par jour. Un camion de sable payé 7000 DA à Tizi Ouzou revient, avec le transport, à 18 000 DA à Yattafène. » Les villageois se sont inscrits en masse dans ce programme, mais se sont vite rendu compte de la difficulté de lancer le chantier. Des capacités financières importantes étaient finalement nécessaires pour mener à bien le projet. « Tout le monde avait le droit de s'inscrire dans l'habitat rural, alors que la plupart des postulants sont en vérité nécessiteux et éligibles pour le logement social », notent les services techniques de APC. Le programme en cours en matière de logement social dans la commune de Yattafène se résume à 10 unités, datant de 2001. Antérieurement, il a été réalisé 88 logements, dont 44 inscrits en 1981, lancés en 1994 et réceptionnés en 1999. La commune ne dispose pas d'une réserve foncière et ne peut pas recevoir de nouveaux programmes de logements. Elle a engagé une procédure d'acquisition d'un terrain privé et compte sur la wilaya pour prendre en charge le coût. Le dossier est au niveau des Domaines pour un rapport d'évaluation. « Ce terrain ne sera pas destiné au logement, mais à des équipements collectifs dont la collectivité a besoin, comme une polyclinique, un CEM ou un lycée », remarque-t-on à l'APC. Inertie de l'administration Tout reste à faire dans ces communes de haute montagne où aucune activité économique ne retient la population à ses terres. Les villages sont désertés peu à peu. « Il ne reste que ceux qui vivent des pensions de retraite des émigrés ou des veuves de chahid », lance-t-on à Yattafène. Le document de la wilaya portant « Projection des populations par commune à l'horizon 2010 » donne des chiffres qui parlent d'eux-mêmes. 4958 habitants recensés en 1998 et 4968 projetés en 2010, soit une augmentation de 10 habitants, et une croissance démographique de 0,017%. En vérité, la démographie est décroissante, reconnaît-on à l'APC. Pour l'heure, aucun programme de développement n'est prévu pour empêcher la « désertification » des villages. La commune d'Aghribs se trouve à une quarantaine de kilomètres à l'est de Tizi Ouzou et à une vingtaine de kilomètres au sud de la ville côtière d'Azeffoun. Loin des massifs montagneux, les difficultés liées à la topographie sont moindres. Surprise : les résultats sont aussi mauvais qu'en haute montagne. 46 logements réalisés sur un quota de 360 aides publiques, jusqu'à avril 2008. Un taux de réalisation de 12,7%. Là, le goulot bureaucratique a fonctionné au maximum. « On nous refuse la surélévation alors que cela a été autorisé par la wilaya et mis en pratique dans d'autres daïras », nous dit le P/APC. La « souplesse » voulue par l'exécutif de wilaya pour obtenir de meilleurs résultats n'est pas adoptée par les services techniques locaux. « On refuse, à titre d'exemple, que la construction soit réalisée à moins de 35 m de la route nationale, alors que tout le village se trouve à 7 m de la même route », souligne le maire d'Aghribs. Une rigueur extrême dans le respect de la réglementation, freinant efficacement la mise en œuvre du dispositif. « Nous avons aussi présenté un dossier de constructions groupées au niveau d'Agouni Gheziffen, où les habitants n'ont pas de titres de propriété individuels, comme cela a été permis par la wilaya, mais sans suite », ajoute le P/APC. Des mesures d'allégement décidées par le wali en juin 2006 et non appliquées deux ans plus tard sont l'une des caractéristiques du programme de l'habitat rural dans la wilaya de Tizi Ouzou. « Nous n'assistons pas aux réunions présidées par le wali et consacrées à ce dossier. Nous aurions relevé les blocages que nous rencontrons tous les jours », regrette l'élu local. « Le programme est intéressant dès lors qu'il permet d'enrayer les constructions illicites et d'asseoir les normes de construction, mais la multiplication des intervenants et la lourdeur des procédures ont entravé sa mise en œuvre », explique notre interlocuteur. Dix demandes d'affectation de la 2e tranche envoyées le 20 janvier 2008 à la CNL ne sont revenues que le 31 mars, note-t-on à Aghribs. Deux mois et dix jours au lieu du délai de 15 jours proclamé dans les réunions de wilaya. Une liste de 100 postulants transmise en mars 2007 à la direction des Domaines pour enquête foncière n'est revenue, souligne-t-on encore, qu'en novembre de la même année, soit une attente de 8 mois au lieu des 2 mois réglementaires. « Cela bloque l'établissement du certificat de possession », signale-t-on. Autant de difficultés rencontrées sur le terrain et qui ne remontent pas jusqu'aux réunions tenues à la wilaya où l'on décide, par contre, de « dégraisser » le quota communal ou de remplacer les « retardataires » sans autre forme de procès.