Des clés pour comprendre une région marquée qui ne finit pas de nourrir l'actualité et les inquiétudes. Les éditions Sédia viennent de rééditer le fameux essai Vers l'Orient compliqué du politologue ou plutôt de « l'orientologue » très médiatisé, Antoine Sfeir. Né en 1948 au Liban, établi en France depuis de nombreuses années, journaliste et essayiste, il se consacre à la recherche et à l'enseignement des relations internationales. Cet essai est son huitième ouvrage, après une série centrée sur le monde arabe et musulman et où figurent deux ouvrages de références qu'il a dirigés : L'Atlas des religions (Ed. Perrin, 1993) et Le Dictionnaire de l'islamisme (Plon, 2002). Paru en 2006 aux éditions Grasset-Fasquelle, l'ouvrage peut paraître dépassé si l'on considère l'ensemble des évènements nouveaux qui ont agité et agitent le Moyen-Orient ces deux dernières années. Cependant, l'auteur ne s'attache pas à l'immédiateté et c'est vers les causes profondes que son analyse se déploie, en remontant à la bataille de Lépante en 1571 qui sonne le glas de l'Empire ottoman et verra naître, sous la houlette coloniale, les Etats-nations du Moyen-Orient. De cette période à nos jours, en passant par les gros abcès (création d'Israël, question palestinienne, 11 septembre, occupation de l'Irak), Antoine Sfeir déroule l'écheveau d'un monde dévoré par les appétits des grandes puissances occidentales, engoncé dans ses propres contradictions, livré à des tempêtes historiques violentes. Au cœur de cette exploration, les relations entre les Américains et le monde arabe (sous-titre de l'essai) dont il relève toute la duplicité et l'horreur. Ainsi, cette anecdote qu'il rapporte à propos de l'embargo sur l'Irak, quand une journaliste de CBS interviewe en mai 1996 Madeleine Albright, ambassadrice des USA aux Nations-Unies. Question : « On a entendu dire qu'un demi-million d'enfants irakiens sont morts, ce qui est plus qu'Hiroshima. Est-ce que cela valait la peine ? » Réponse : « Je pense que c'est un choix difficile mais nous pensons que cela en vaut la peine. » Le livre de Sfeir, écrit de manière didactique, est ponctué de faits précis qui permettent de comprendre aisément son analyse globale sur la région. L'auteur, après avoir fourni de nombreuses clés historiques, économiques, politiques et autres (notamment les cultures et religions), se livre à un exercice de prospective qui prend la forme d'un « cauchemar » (dixit Sfeir) envisagé à travers la priorité pour les USA de protéger Israël, le projet de Grand Moyen-Orient dont la « grandeur » risque de s'accompagner d'un morcellement de la région et, enfin, cette question fatidique : à qui le tour ? Entre l'hyper puissance américaine et les peuples de la région, l'auteur ne voit qu'un « face-à-face inégal » où « il n'y a de place pour rien ni personne d'autre ». Et, en conclusion, il révèle qu'il parle, non plus en spécialiste indépendant, ni même en arabe : « Et pourtant, il subsiste un espace dans lequel, nous Français, nous Européens, pourrions prétendre être plus performants, sinon plus encore que les Etats-Unis : l'espace culturel. » Au delà des limites d'une telle préconisation et du positionnement de l'auteur, l'ouvrage conserve ses qualités de synthèse et de découverte. Signalons la qualité graphique de l'ouvrage d'une collection qui promet et dans laquelle, nous l'espérons, Sédia intègrera des chercheurs algériens, pour peu qu'ils fassent l'effort de sortir des jargons universitaires. Vers l'Orient compliqué. Antoine Sfeir. Ed. Sédia, Alger, 2008. 176 p. 550 DA.