Les réseaux de trafic d'armes montés par les groupes armés ont évolué selon la situation sécuritaire, la configuration et l'importance des organisations terroristes. Il faut relever néanmoins que les plus puissants groupes ont toujours été ceux qui avaient sous leur coupe la bande frontalière. Cela a été le cas pour Kada Benchiha, émir du GIA (durant le début des années 90) à l'ouest par où transitaient les premières armes des maquis terroristes, ou encore de Abderrazak El Para, à l'Est, lorsqu'il dirigeait la zone 5 pour le GSPC et qui s'étend sur la frontière avec la Tunisie et la Libye, ou encore de Mokhtar Belmokhtar, émir de la zone 9 pour le GSPC, qui englobe le Sud et les pays du Sahel. Il faut reconnaître qu'après l'unification des groupes armés sous la houlette du GIA, à partir de 1994, de véritables filières de trafic d'armes étaient déjà installées en Europe. Leur mission était de collecter les fonds, d'acheter des armes et de les acheminer vers l'Algérie via la frontière marocaine. Ces réseaux bien organisés et structurés, agissaient sous l'œil des services de renseignements occidentaux. La fermeture de la frontière avec le Maroc, en 1994, n'a pas beaucoup déstabilisé l'approvisionnement des groupes armés, du fait qu'à cette époque, le GIA était à son apogée et les attaques contre les casernes et les convois des forces de sécurité lui ont permis de se doter d'un arsenal important, renforcé après par l'apport des filières qui avaient une interconnexion avec les contrebandiers. Cette situation va basculer dès la fin des années 1990 et début 2000, avec la restructuration du GSPC et son redéploiement dans le sud du pays et le long de la frontière Est, qui s'étend de la Tunisie jusqu'à la Libye et où sévissait Abderrazak El Para. Natif de Batna, il a durant des années fait main basse sur les activités illégales entre la Tunisie et l'Algérie en imposant « un droit de passage » aux contrebandiers en contrepartie d'un « sauf-conduit » pour leurs marchandises. El Para manquait cependant d'armements de guerre, comme celui détenu par son rival, Mokhtar Belmokhtar, au sud du pays. Il organise l'enlèvement du sénateur Boudiar (juillet 2001), à Tébessa, et réclame une rançon de 3 milliards de centimes qu'il va obtenir. Avec ce butin, il achète 50 PM/AK, 2 FM/PK, 2 RPG7 avec 100 roquettes, 3 mitrailleuses, 104 000 cartouches de divers calibres et 4 postes radios haute puissance fonctionnant avec de l'énergie solaire au nord du Mali vers Djebel Labiodh à Tébessa, siège de sa phalange. Cet arsenal va le pousser à mener une embuscade aussi spectaculaire que meurtrière contre un convoi de parachutistes à Biskra qui a fait 39 morts et permis la récupération de 37 kalachnikovs, 2 fusils mitrailleurs, des postes radios et 25 tenues de parachutistes. « Un succès » qui va renforcer sa « puissance ». Hassan Hattab, le désigne pour accompagner (avec Mokhtar Belmokhtar) l'envoyé spécial d'Al Qaïda, le Yéménite Mohamed Alwane Abdelwahed, dit Abou Mohamed El Yamani (abattu par les forces de sécurité), dans les fins fonds du Sahara, du Mali, du Niger, de la Mauritanie et la frontière du Sahara occidental, pour nouer des contacts avec les trafiquants d'armes. El Para prend conscience de l'importance stratégique de cette région, ouverte sur plusieurs pays africains, et où sont concentrées les richesses (les compagnies pétrolières disposant de matériels importants pouvant être accaparés pour être échangés contre des armes et des équipements de transmission). Il faut reconnaître que c'est cette même région qui a fait de Mokhtar Belmokhtar, l'homme de confiance de Hassan Hattab. Ses contacts avec les chefs des tribus touareg et arabes de la région lui ont permis de bien s'implanter et de faciliter les transactions d'armes. Belmokhtar a beaucoup investi pour y arriver. Pendant des années, les revenus de ses activités au Sahara, entre rackets et vols de véhicules tout-terrain des compagnies pétrolières, servaient à tisser des relations étroites avec de hauts responsables militaires de la région du Sahel, mais aussi avec des trafiquants d'armes auprès desquels il s'est procuré, en 2002, 20 pistolets mitrailleurs (AK), un mortier et une importante quantité de munitions. Ambitieux, El Para voulait à tout prix s'approprier ce statut de chef puissant et privilégié auprès de son organisation. Argent et armes : La puissance ! Il monte l'opération du rapt des 32 touristes allemands entre 2003 et début 2004 et réclame une rançon de 5 millions d'euros pour leur libération. Celle-ci est payée par le gouvernement allemand. Avec ce butin et la liberté d'action dont il bénéficiait au nord du Mali, il achète d'importantes quantités d'armes auprès de ses habituels fournisseurs. Les révélations faites par le repenti, Oussama Abou Seif, mefti (exégète) de la phalange Tarek Ibn Ziad, (une phalange créée par El Para pour le rapt) le confirment. La première partie de l'armement est achetée, au nord du Mali, par Abderrazak El Para, en personne. Il s'agit d'une dizaine de pistolets mitrailleurs kalachnikovs (PM/AK) coréens, sous emballage auprès d'un haut responsable de l'administration du nord du Mali, au prix de 1000 euros la pièce et 22 autres PM/AK russes pliantes, une mitrailleuse et une korinov, (auprès des tribus maliennes) pour l'équivalent de 450 000 DA. A Gao, c'est auprès d'un négociant d'armes de nationalité algéro-malienne que Abou Zeid va acheter en deux tranches, 15 PM/AK chinois et russes, 1 mortier de 82 mm, 20 000 cartouches, 10 roquettes pour RPG7 et une caisse de grenades offensives. Deux autres cargaisons lui sont livrées par la suite par un autre marchand d'armes de Tombouctou, composées de 2 RPG2 avec 20 roquettes, 2 fusils mitrailleurs, 12 PM/AK chinois et irakiens, 1 korinov, un lot de munitions, puis 25 roquettes pour RPG2, 11 000 cartouches, 2 pistolets automatiques tokarev et 4000 cartouches pour mitrailleuse. Auprès d'autres négociants d'armes, une soixantaine de kalachnikovs a été achetée. 11 Toyota Station et un camion de type Man ont été également acquis à Kidal, ainsi qu'une vingtaine d'appareils téléphoniques Thuraya. Une partie de cet arsenal est interceptée et détruite par les unités de l'ANP, en cours d'acheminement vers les maquis du GSPC, à l'issue de deux opérations menées à In Salah et à Ménéa. Mais l'on ne saura jamais quelle quantité est restée entre les mains des terroristes. Ce qui est certain, affirment nos sources, c'est que les terroristes utilisent les mêmes itinéraires pour acheminer ces cargaisons et qui souvent se confondent avec ceux des contrebandiers. Il s'agit de pistes inexistantes sur les cartes, connues uniquement par des guides aguerris de la région, (généralement des touareg) et qui traversent Tamanrasset, Ouargla, El Oued et In Salah pour rejoindre le Nord, via Biskra et Batna. Très difficiles d'accès, ces routes constituent les principaux axes reliant la direction du GSPC installée dans la Kabylie et ses démembrements activant dans les pays limitrophes, comme le Niger, le Mali, la Mauritanie, la Libye et la Tunisie.