Les négociations se poursuivent pour libérer sains et saufs » les deux otages, un Britannique et un Suisse, détenus par le GSPC, dans la région du nord du Mali, a-t-on appris de sources maliennes, contactées par téléphone, après l'expiration du délai de 20 jours donné par les ravisseurs. L'ultimatum avait été lancé le 24 avril dernier, soit deux jours après la libération au nord du Mali de quatre otages, deux diplomates canadiens et deux touristes septuagénaires, une Suisse (dont l'époux est toujours détenu) et une Allemande. Les otages détenus par le groupe du GSPC, dirigé par Abou Zeid, rival de Mokhtar Belmokhtar, émir de la zone sahélo-saharienne (pour le GSPC), avaient été enlevés au début du mois de janvier dernier au nord du Niger, avant d'être transférés vers le Mali. Les négociations entreprises pour leur libération n'ont pas abouti, puisque les ravisseurs n'ont libéré le 22 avril dernier que deux femmes très âgées. Officiellement, les ravisseurs ont exigé la libération du Jordanien, Abou Koutada, de son vrai nom Omar Othman, considéré par la justice espagnole comme le bras droit d'Oussama Ben Laden en Europe, détenu en Grande-Bretagne. Mais, pour des sources sécuritaires, « Abou Zeid réclame une rançon, dont le montant aurait été trop important. Il réclame le double de ce qu'aurait pris Belmokhtar, pour la libération des deux diplomates canadiens ». Les autorités maliennes jouent actuellement sur deux fronts, l'un militaire avec l'aide de l'Algérie, et l'autre, plus officieux, basé sur les négociations, avec l'aide du président burkinabé, Blaise Compaoré, qui aurait joué un rôle important dans la libération des deux diplomates canadiens, que Mokhtar Belmokhtar a détenus après qu'ils aient été enlevés au Niger par des contrebandiers. Selon des sources crédibles, Blaize Compaoré « aurait servi de passeur pour le paiement d'une rançon de près de 8 millions d'euros, 4 pour la libération des deux diplomates canadiens (détenus par Belmokhtar) et 4 autres, pour celle d'une Suisse et d'une Allemande détenues par Abou Zeid. Ce dernier réclamerait 4 autres millions d'euros pour la libération des deux touristes encore en captivité ». Pour l'instant, aucun des pays concernés (l'Allemagne, la Suisse, et le Canada) n'a reconnu avoir avancé cette importante somme d'argent. Pour nos sources, Belmokhtar n'aurait jamais pris le risque de « commanditer » aux contrebandiers nigériens l'enlèvement des deux diplomates canadiens au nord du Niger, si ce n'est pas pour les utiliser comme monnaie d'échange contre une rançon et non contre la libération de l'ancien afghan, Oussama El Merdaci, émir du GSPC, très influent dans la nébuleuse d'El Qaïda au Sahel (arrêté par les services maliens, à Tombouctou, alors qu'il devait rejoindre la Somalie). Pour preuve, Oussama El Merdaci est toujours dans les geôles maliennes, en attente d'un procès ou d'une extradition vers l'Algérie, alors que les otages ont été libérés par Belmokhtar, lequel aurait changé d'endroit après avoir emporté sa dîme. En fait, pour nos interlocuteurs, même Abou Zeid, qui détient deux touristes, « espère tirer le maximum de cet enlèvement, arguant du fait que la première partie de l'argent qu'il aurait reçue n'est pas suffisante par rapport au nombre d'otages qu'il détient. Il aurait mal accepté que son rival Belmokhtar puisse arracher le même montant que lui. Ce qui fait perdurer actuellement les tractations ». Le Burkina, passage obligé de tous les trafics Une situation qui a fait courir de nombreux « négociateurs », eu égard aux gains pécuniaires qu'elle peut générer. C'est le cas des autorités burkinabées, à leur tête le président Blaize Compaoré, dont le pays est devenu, selon des sources maliennes, la plaque tournante et le passage obligé de tous les trafics de cocaïne, de diamant, d'armes, de munitions, d'explosifs, d'immigrants clandestins, etc. « Belmokhtar a de tout temps eu des commerces au Burkina Fasso. A vol d'oiseau, Kidal est plus proche de Ouagadougou que de Bamako. De plus, les frontières ne constituent pas une barrière pour les trafiquants et les terroristes, du fait de leur immensité et l'incapacité des forces de sécurité à assurer le contrôle des deux côtés de la frontière », explique une source sécuritaire malienne, qui précise que la connexion entre les réseaux de contrebandiers et les terroristes n'est plus à prouver. « Les trafiquants payent des droits de passage aux groupes d'El Qaïda, et ceux-ci leur assurent la sécurité des convois. » « Nous avons des preuves sur l'implication d'El Qaïda dans des trafics de diamant en Sierra Leone, de métaux précieux en Tanzanie, de drogue et d'articles divers en République du Congo… », explique notre interlocuteur. Selon lui, la bande frontalière qui longe le Niger, le Mali, l'Algérie et la Mauritanie connaît une forte activité des terroristes. Arrivant du Moyen-Orient et du Maghreb, les terroristes transitent parfois par la capitale, Bamako, avant de remonter au nord. Mais, ils sont la plupart du temps repérés au nord du Mali, dans la bande frontalière algéro-malienne, où ils composent facilement avec la population locale. La partie nord de Tombouctou vers la frontière avec la Mauritanie et le Tamasna vers la frontière avec le Niger sont également leurs terrains de prédilection. Scindés en deux groupes distincts et souvent rivaux, le premier est la katibat El Moulathamoune (la phalange des enturbannés) que dirige Mokhtar Belmokhtar et qui évolue dans la région comprise entre Tombouctou, Araouane, Boujebeha Taoudéni, et à proximité de la frontière mauritano-malienne, sans avoir de base fixe. Ses furtives incursions dans la région de Thessalit et Aïn Hallil, vers l'est, pour s'approvisionner en vivres et en carburant, alors qu'en Algérie, il évolue dans le triangle Bordj Badji Mokhtar-Omar Driss-Tamanrasset et Djanet. Le groupe est composé de près de 90 éléments, dont 60 Mauritaniens et 14 natifs des autres pays du Sahel, bien structurés et armés de pistolets mitrailleurs et de kalachnikovs, de RPG et SPG, de mortiers et de mitrailleuses de différents calibres montées sur des véhicules tout-terrains. Le deuxième groupe est la phalange katibat El Fatihine dirigée par Abou Zeid et qui compte près de 80 terroristes, dont 40 sont des ressortissants des pays du Sahel et même de l'Afrique centrale, équipés de kalachnikovs, de RPG, de mortiers et de mitrailleuses montées sur des 4x4 évoluant dans les régions du mont Thadak, Aït Moulay, Timetrine, In Abog, atteignant parfois la région de Thessalit. Le choix de Timetrine et la vallée du Tilemsi n'est pas fortuit, indique notre source. Elle est très riche en eau et domine toute la région de Aïn Gueldlène, au Mali, et même celle du Tanezrouf, en Algérie. Il est important de préciser, indique notre interlocuteur, que « les deux groupes utilisent les zones proches de la Mauritanie, situées entre Araouane et Tombouctou, mais aussi les régions frontalières avec ce pays comme bases de repli et de contact. Ils utilisent aussi les mêmes procédés d'activité, comme le trafic de drogue et de cigarettes ainsi que les prises d'otages occidentaux pour renforcer leurs capacités financières, la corruption des notables et de toute personne influente de chaque secteur traversé, pour contrôler le milieu et s'assurer l'hospitalité des populations locales, et l'exploitation des rivalités entre les tribus antagonistes, dont le but est de s'assurer un soutien indéfectible de la population par l'affaiblissement de toute résistance. Les deux groupes ont également bénéficié du soutien du mouvement islamiste Dâwa, très influent chez les tribus arabes, très versé dans la contrebande qui lui permet de faire vivre ses fidèles », explique notre source. Elle relève que Belmoktar, qui connaît la région depuis la fin des années 1990, a su tisser des réseaux assez importants, laissés par son prédécesseur, Hassène Allane, qui était chargé d'organiser les filières de trafic d'armes qui transitaient par les pays du Sahel. Ses activités de contrebande lui ont été d'un apport considérable dans une région frappée par une misère des plus dures. Il a même financé la réalisation de nombreux puits pour aider les agriculteurs menacés de famine. Une stratégie qui lui a garanti le soutien et la sympathie de nombreuses tribus, surtout arabes, renforcée par des mariages. Les autorités maliennes crient à qui veut les entendre qu'elles n'ont ni les moyens ni l'expertise pour déloger les terroristes d'El Qaïda de leur territoire. « La lutte ne peut être engagée que dans un cadre régional, parce que le terrorisme est une affaire qui concerne tous les pays sahélo-sahariens », note une source militaire malienne.