On oublie vite ce qui se passe dans les sections parallèles et on court vers la compétition, à commencer d'abord par une œuvre turque éblouissante Les Trois Singes du metteur en scène (très nouvelle vague) Nuri Bilge Ceylan. Cannes (France) : De notre envoyé spécial Il y a une pureté remarquable de la mise en scène et on commence à penser que dans la voie royale du cinéma qu'est le Festival de Cannes, le cinéma turc commence à se faire une sacrée réputation. Le film de Nuri Bilge Ceylan est une fable toute simple au départ, avec des thèmes quasiment banals : l'amour et la haine, la vérité et le mensonge. Mais c'est dans l'angle où le cinéaste situe son récit que l'histoire devient passionnante, haletante du début à la fin. Au sein d'une famille d'Istanbul, un conflit risque de tout détruire, mais le père, la mère et le fils choisissent de cacher la vérité qui blesse, de ne pas la voir, de ne pas en parler comme dans la fable des Trois singes. Les liens qui se défont se ressoudent finalement. La vie continue. La caméra de Nuri Bilge Ceylan décrit des états d'âme, des moments, des lieux singuliers traversés par des personnages très attachants. Il est trop tôt pour dire si ce film turc a touché aussi le jury international. On le souhaite en tout cas. Comme pour le film excellent aussi du Brésilien Fernando Mireilleis, Blindness, adapté du roman de José Saramago L'aveuglement. Les romans de Saramago ne sont pas spécialement faits pour le cinéma. On aurait pu craindre le pire, mais à la faveur d'un bon scénario, écrit par le cinéaste australien, Don McKeller, et avec des acteurs du genre ingénieux comme la rousse Julianne Moore, Mark Rafaello, Danny Glover, Alice Braga, et un budget de plus de 5 millions de dollars, le surdoué Mireilleis a tenu son pari en offrant une œuvre époustouflante. Cela se passe dans une grande ville d'Amérique latine (Sao Paulo), où se déclare une vaste épidémie de cécité, la fièvre blanche. La situation dégénère dangereusement pour arriver au comble de la barbarie, une apocalypse qui s'abat sur la ville, où des émeutes font rage. Dans une ultime tentative pour sauver sa famille, une femme, seule voyante, interprétée par Julianne Moore, est à la tête de la révolte et conduit ses proches vers un lieu sûr, à travers l'immense ville dévastée, où des scènes hallucinantes se déroulent. Cette œuvre s'inscrit dans le contexte hélas connu des tragédies naturelles contemporaines : le sida, le tsunami, le syndrome respiratoire aigu sévère (sras), l'ouragan Katrina à la Nouvelle Orléans, les tremblements de terre en Asie, les famines d'Afrique... C'est une métaphore, une parabole des dangers imminents qui guettent le monde aujourd'hui. José Saramago avait mis cette citation en préface de son roman « Si tu peux voir, regarde. Si tu peux regarder, observe. » Une citation de l'ancien livre des exhortations. Autre film qui ajoute une note positive à ce début de compétition Valse avec Bachir (il s'agit de Bachir Gémayel, le chef des kataeb libanaises). C'est un cinéaste israélien qui a participé à l'invasion sioniste du Liban et qui a voulu témoigner de ce qui s'est passé à Sabra et Chatila. Témoignage bien tardif sur la complicité israélienne dans le massacre, mais c'est dit d'une manière implacable. Sharon et ses troupes ont été les initiateurs et ont fermé les yeux sur la tragédie. Les témoins interrogés par le cinéaste Ari Folman étaient présents quand les hordes des kataeb fascistes ont pénétré une nuit dans le camp de Sabra et Chatila et abattu des milliers de Palestiniens, hommes, femmes et enfants. Comme le fera le GIA en Algérie avec les mêmes méthodes nazies. Un film dur et accusateur même si c'est encore une fois très tardif, saluons le courage du Festival de Cannes qui a programmé ce film le jour même où Israël célébrait en grande pompe son 60e anniversaire...