Le Grand Tableau Antifasciste Collectif est arrivée au Mama après le vernissage de l'exposition « Les peintres internationaux et la Révolution algérienne », à cause de la grève des dockers du port de Marseille. Prêté par le Musée Cantini de Marseille, il était en dépôt depuis plusieurs années au Musée de Strasbourg. Il était impossible de le transporter par les airs avec un format de 4 mètres sur 5. Il a dû ainsi traverser toute la France sur semi-remorque jusqu'au port de Marseille avant d'embarquer sur le cargo Ville de Dubaï. Emballé dans une structure en bois de 6 m x 1,5 m, pesant deux tonnes, il a parcouru toute cette distance dans un conteneur spécial de 40 pieds réfrigéré pour le maintenir à température constante et le protéger de l'humidité. Son arrivée au port d'Alger a suscité une mobilisation inédite en Algérie : les Douanes nationales (formalités en un temps record), les services portuaires (transpalettes spéciales, manutentionnaires…), la DGSN (sécurité et escorte), les représentants du ministère de la Culture et l'équipe du Mama. Rue Ben M'hidi, d'autres manutentionnaires ont démonté l'énorme emballage puis deux encadreurs algériens, selon les instructions de la vidéo accompagnant le lot, ont procédé au montage du châssis. Enfin, le tableau a pu être accroché sur l'emplacement où les scénographes, sous la supervision de l'architecte, avaient surélevé le plafond du Musée. Mais tout cela, habituel sous d'autres cieux, n'est rien au regard de la véritable Odyssée qu'a connue ce tableau depuis sa naissance en 1961. A l'origine, un personnage : Jean François Lebel, artiste né en 1936 à Paris, très tôt connu des grandes galeries d'art de New-York, Paris, Londres, auteur du premier happening européen en 1960, traducteur de ses amis prestigieux, écrivains dits de la Beat-génération, Burroughs, Ginsberg, Ferlenghetti et autres, novateur qui a notamment animé visuellement un concert du célèbre groupe Soft Machine en 1967… En 1960 et 1961, Lebel est le coorganisateur de l'Anti-Procès, à Paris, Venise, et Milan, une manifestation et une exposition internationales et itinérantes regroupant une soixantaine d'artistes de tendances diverses, prenant position contre la guerre d'Algérie et contre la torture. Il rêve de faire pour l'Algérie en lutte un « Guernica. » Il réunit à Milan un groupe d'artistes et complices : Baj, Dova, Crippa, Erró, et Recalcati. Ensemble, ils peignent la toile géante pour l'exposer à l'Anti-Procès de Milan. Sous prétexte d'atteinte à un chef d'Etat étranger (le pape), à la religion d'Etat et à l'armée, le tableau qui porte notamment les noms de Sétif et Constantine, en rappel aux massacres du 8 mai 1945, est saisi par la police italienne le 14 juin 1961. Il demeurera 25 ans sous séquestre avant d'être « ibéré » en 1986 ! Il n'existe pas à notre connaissance d'exemples similaires de séquestration d'une œuvre dans l'histoire de l'art contemporain, et notamment en Europe. Ce triste record détenu par le GTAC a ajouté à sa légende confortée par l'édition de plusieurs livres d'art qui lui sont consacrés. C'est la première fois qu'il participe à une exposition internationale. Il était juste qu'elle se tienne à Alger.