Il était l'un des pionniers de la caricature de presse en Algérie au lendemain de l'indépendance du pays, mais c'est en artiste peintre que Tayeb Arab est revenu à Oran, sa ville natale, après une absence qui aura duré près d'une trentaine d'années. L 'exposition organisée en son honneur au musée Zabana et intitulée Destin d'encre, qui a pris fin le 22 mai, a permis au public, mais surtout à la génération actuelle de découvrir l'ensemble du parcours de cet autodidacte qui, le moins que l'on puise, dire est qu'il n'a jamais cessé de forcer le destin, le sien d'abord. Confronté très tôt aux vicissitudes de la vie avec la perte de son père, ouvrier, il trouvera dans la caricature (il avait étudié le dessin technique à l'école) un moyen de prendre sa revanche et d'affirmer une personnalité qui se forgera au contact de ses pairs, de certains animateurs de la vie politique oranaise de gauche, mais surtout de deux personnalités qui ont dû le marquer pour leur avoir rendu un vibrant hommage dans ses toiles, M'hamed Issiakhem et Kateb Yacine. Les caricatures qu'il a produites entre 1965 et 1976 dans La République (aujourd'hui El Djoumhouria) traduisent bien son engagement politique, social et culturel. Il était de tous les fronts et n'a rien laissé au hasard, mais certaines de ses œuvres, publiées dans ce qui était considéré à l'époque comme le plus grand journal de l'Algérie indépendante, restent d'une actualité évidente. La crise de logement, le code du travail et le patronat, la cherté de la vie, la situation de la femme, la télévision mais aussi le pétrole, l'impérialisme et les mouvements révolutionnaires dans le monde sont autant de thèmes qu'on redécouvre dans cette exposition entrant dans le cadre de la manifestation Alger, capitale de la culture arabe, et qui ne renvoient pas forcément à l'Algérie des années 60/70. L'exposition propose également une collection de portraits de chefs d'Etat africains égratignés par Arab dans la revue Afrique Asie, dans laquelle il a collaboré à partir de 1981 (jusqu'à 1987), c'est-à-dire juste après avoir quitté l'Algérie pour s'installer définitivement en France, où il a également eu à intervenir sur Beur TV entre 2003 et 2004. Son engagement n'a pas fléchi, juste son champ de vision qui s'est déplacé vers d'autres préoccupations posées de par le monde. Les guerres, la famine, le fossé Nord-Sud, etc. La vie de bohème à Oran a sans doute créé chez ce pourfendeur des conventions sociales une sensibilité artistique qui lui évitera de sombrer dans la platitude, et c'est une quête permanente qui caractérisera ses œuvres picturales à commencer par toute sa collection d'œuvres sur papier, réalisées en majorité durant les années 90. Cette collection, les dessins, esquisses touareg mis à part, est un véritable enchantement pour l'œil avec ces silhouettes filiformes qui arpentent un monde fait de signes artisanaux typiquement maghrébins, de lettres (beaucoup en tifinagh) et de couleur qui s'agencent dans des entrelacs de formes géométriques à la manière de Kandinsky. A la différence que l'abstraction, dont il s'agit ici, traduit sans doute une histoire millénaire. Dans le tas un titre « L'homme à la valise » est peut être un autoportrait pour un artiste qu'aucune frontière ne peut retenir. D'où peut-être la récurrence de la lettre Z de l'alphabet tifinagh, synonyme de l'homme libre. De toutes les façons, pour Arab « le monde est con ». Cette inscription sur une des toiles, représentant un registre nouveau dans son terrain d'exploration artistique, est cependant symptomatique de l'état d'un homme qui, sans avoir renié ses engagements passés, semble avoir troqué un optimisme passé contre une espèce de nihilisme présent. Le triptyque Kateb Yacine, Nelson Mandela, Che Guevara, des noms imprimés sur une œuvre fait désormais place à Baudelaire, le génie puisant dans le pessimisme de son époque : l'essence de sa poésie. Ce tableau, dédié à l'auteur des Fleurs du mal est également relativement « provocateur ». Avec La vie, Red Melody ou surtout Amour d'éclipse, réalisées en 2007, l'artiste s'intéresse au couple, et ses personnages commencent à avoir plus de volume. C'est peut-être une nouvelle tendance qui se dessine chez cet artiste qui n'en finit pas de nous impressionner.