Les Etats-Unis n'ont pas mis au point une stratégie sur la Méditerranée ni ne cherchent à concurrencer l'Europe dans une région qui relève de son espace géopolitique. Mieux encore, les USA visent à unir leurs forces avec l'Europe, la France en particulier, pour influencer positivement le monde… » A ceux qui croient déceler une guerre de leadership entre les Etats-Unis et l'Europe en Méditerranée, et plus spécialement au Maghreb, les propos de l'ex-conseiller personnel de Bill Clinton, le Dr Ian O. Lesser, constituent une feuille de route à une déroute analytique. Invité par l'Institut national d'études de stratégie globale (INESG) pour débattre des stratégies européennes et américaines en Méditerranée, « entre concurrence et complémentarité », le conférencier a d'emblée planté le décor d'un espace euroméditerranéen contrôlé par l'Europe, mais « en coopération » avec les Etats-Unis. « Nous n'avons pas de stratégie dans cette région — la Méditerranée —, mais des liens politiques spécifiques. Pour nous, Américains, la Méditerranée, celle du sud notamment, n'est pas un bloc bien défini, contrairement aux Européens pour qui il est nécessaire, voire indispensable, de penser une stratégie globale de coopération avec les pays de cette région. » Pour ce conseiller spécial au sein de la fondation « Marshall » des études stratégiques et internationales, basée à Washington, il n'y a strictement pas de dualité et de choc d'intérêts entre l'Union européenne et les USA dans la Méditerranée, admettant implicitement l'appartenance historique et géographique de cette région, notamment le Maghreb, dans le pré carré de l'Europe. Transition faite, l'expert américain trouve même séduisante l'idée d'une union pour le Méditerranée (UPM) chère à Sarkozy et qui serait, d'après lui, un cadre de coopération « intéressant » entre les USA et l'Europe par rapport aux enjeux géopolitiques dans les régions. « Les concepteurs de la politique étrangère américaine savent que la Méditerranée, qui est certes une région très importante vue de Washington, relève de l'espace stratégique européen », estime Ian O. Lesser. Et de décliner le pragmatisme américain à l'état cru, en notant que « nous coopérons avec un pays sur les questions énergétiques, avec un autre sur la lutte contre le terrorisme et un troisième sur la menace nucléaire de l'Iran ». En clair, la politique étrangère des Etats-Unis dans la Méditerranée est aussi flexible que sont leurs intérêts géostratégiques dans une sorte de coopération à la carte. « La France, un acteur clé » L'expert en vaut pour preuve les relations privilégiées de son pays avec l'Algérie dans le domaine de l'énergie « même si votre pays ne constitue pas un allié du fait qu'il a toujours évolué dans le giron des non-alignés, contrairement au Maroc qui nous a beaucoup aidés durant la guerre froide ». Aussi, l'Egypte et la Turquie sont, d'après lui, des partenaires privilégiés des USA pour le Moyen-Orient, en ce sens qu'ils servent « d'appuis » à la politique américaine dans cette région, mais surtout de contrepoids face à la montée en puissance de l'Iran. C'est justement cette partie orientale de la Méditerranée qui intéresse au plus haut point les stratèges de Washington, selon l'expert. « Alors que les Européens considèrent la Méditerranée occidentale comme le centre de gravitation, nous, Américains, c'est plutôt vers l'Est que nous regardons du fait que c'est la route vers le Moyen-Orient et l'Asie. » Le Maghreb n'en reste pas moins une région vitale pour Washington. « N'oubliez pas que tous ces soldats et toutes ces armes qui sont acheminés en Irak durant la première guerre du Golfe sont partis d'ici… », lance Ian O. Lesser, considérant la Méditerranée occidentale, donc le Maghreb, comme « une antichambre et une base logistique » des Etats- Unis. « Une fonction » géopolitique qui ne risque pas de heurter les intérêts européens dans la région, d'autant plus que la sécurité d'Israël et la dénucléarisation de l'Iran constituent le produit le plus abouti du mariage entre Européens et Américains. Et en la matière, le conférencier n'a pas manqué d'évoquer « l'effet Sarko » chez les Américains. « Il a séduit beaucoup parmi les sénateurs, c'est quelqu'un de nouveau, même si nous n'avons pas de politique officielle sur la Méditerranée, la mode Sarkozy fait son chemin et Washington suit avec intérêt l'aboutissement de son projet d'union pour la Méditerranée », explique l'un des spin doctor de l'administration Clinton. « Pour nous, il est important de coopérer avec l'Europe, notamment la France qui est un acteur clé en Méditerranée, surtout qu'on assiste à l'arrivée de nouveaux acteurs politiques et économiques dans la région, à l'image de la Chine, de l'Inde et de la Russie. » Cette crainte d'une guerre de positions pourrait donner naissance, selon lui, à une possible « ouverture de l'OTAN vers les pays du Sud ». Voilà qui cristallise le mieux cette marche au pas cadencé entre l'Europe et les Etats-Unis en Méditerranée. Quid du soutien US au plan marocain d'autonomie dans le conflit du Sahara occidental ? C'est, tout compte fait, une simple facture salée en dollars que les « think tank » américains rechignent à payer indéfiniment à la Minurso, laisse entendre l'expert.