Une vision précise de ce qui fait l'originalité, la constance et la force du rapport avec le Maghreb, a fait jusque-là défaut. Sarkozy veut donner un coup de fouet à la diplomatie française. Une attention particulière est accordée à la région du Maghreb où il sera en tournée à compter du 10 juillet. Le président français veut aller vite et donner à la France un rythme qui est le sien. A peine installé à l'Elysée, il lance son projet de l'Union de la Méditerranée qu'il veut calquer sur le modèle de l'Union européenne. Pourquoi ce regain d'intérêt à l'égard de cet ensemble maghrébin longtemps ignoré? Les contacts et les approches n'ont pourtant pas manqué de la part du partenaire européen dans son ensemble qui a toujours fait des pays du Maghreb une zone économiquement avantageuse dans la mesure où elle représente un marché important de consommation. Et dans le cas de l'Algérie et de la Libye, une source stratégique d'approvisionnement en énergie. Le processus de Barcelone, le Forum méditerranéen et le dialogue 5+5 ont été des initiatives qui visent à rentabiliser cette proximité pour soigner les économies de la rive nord de la Méditerranée et leur assurer une sécurité durable. Un nouveau souffle Les échanges multilatéraux avec des partenaires maghrébins, sur des thèmes d'intérêt commun, sécurité et migration surtout, constituent les préoccupations majeures de la partie européenne. L'intégration économique et le développement économique et social sont le souci des pays comme le Maroc, l'Algérie ou la Tunisie. L'échec, justement, de ces tentatives de rapprochement entre maghrébins et européens revient à cette conception unilatérale du partenariat développée par l'autre partie qui n'a pas fourni les mêmes efforts que ceux consentis en direction des pays de l'ex-bloc de l'Europe de l'Est. Cette fois, la France veut insuffler un souffle nouveau à ce partenariat à travers le lancement de l'idée de l'Union de la Méditerranée. Pourquoi la France et pourquoi maintenant? Pour répondre à ce questionnement, plusieurs grilles de lecture s'offrent à nous. Celle qui lie cette action diplomatique aux derniers développements connus dans la région est la plus réaliste. D'abord, il y a l'aspect sécuritaire qui préoccupe au plus haut point la France et ses voisins. La menace d'Al Qaîda plane depuis quelques années déjà sur les pays moteurs du Vieux Continent. La France, l'Espagne et l'Italie sont les cibles déclarées des groupes terroristes affiliés à la nébuleuse d'Oussama Ben Laden. Les récents événements de Londres ont conforté cette appréhension. Le juge français, Jean-Louis Bruguière, chargé de la lutte contre les groupes terroristes a, récemment, déclaré à une chaîne TV européenne qu'un attentat commis à Londres équivaut à une menace réelle qui pèse sur la France. Ensuite, il y a l'aspect de la géopolitique de l'énergie en Europe. La sécurité énergétique est un enjeu économique et politique sensible. Elle occupe une place de choix dans les relations qu'entretient l'Europe avec les autres partenaires qui approvisionnent le marché européen et international. Une trop forte dépendance de l'Europe à l'égard des livraisons d'hydrocarbures russes a montré ses dangers à l'occasion de «la crise du gaz» qui a opposé, en janvier 2006, Kiev à Moscou. Les conséquences d'une rupture prolongée de l'approvisionnement russe a jeté un froid dans le dos des 27 chefs d'Etat de l'Union européenne. La montée au créneau de la Russie dans son bras de fer avec l'ex-ennemi américain, via son opposition à la politique militariste des USA en Europe et ailleurs, et sa volonté de créer un cartel du gaz a poussé les Européens à réfléchir sur les voies et moyens de se soustraire à un éventuel étranglement de leurs économies respectives. Le troisième aspect, et pas des moindres, a trait à la volonté de l'Europe méditerranéenne d'éradiquer le flux migratoire -qui prend, selon les Européens, une ampleur dangereuse- à sa source. C'est-à-dire en aidant les pays de la rive sud de Mare Nostrum à fixer les populations sur place en mettant à leur disposition les moyens adéquats servant à maîtriser ce flux. Enfin, il y a cette recherche effrénée des Européens d'un espace d'investissement et de consommation pouvant permettre à leurs économies de prospérer devant la menace qu'est devenue la Chine qui fait du monde entier un espace de commerce et des affaires. D'autant plus que le Maghreb peut servir de porte d'entrée vers le grand continent africain, particulièrement pour la France qui a perdu beaucoup de terrain sur ce registre. Le dernier échec essuyé par la diplomatie française a trait à son initiative avortée dans le dossier du Darfour, au Soudan pris en charge directement par les USA. Une vision d'ensemble Pour toutes ces raisons, la visite de Sarkozy dans quelques pays du Maghreb, même si elle semble déjà compromise à la suite de l'inattendue réaction marocaine qui a demandé au président français de faire l'impasse sur l'escale de Rabat, reportée à une date ultérieure, requiert un cachet de première importance. Aux yeux de certains observateurs, c'est la réponse apportée par le nouveau président français aux préoccupations de nombreux spécialistes politiques de l'Hexagone, analystes et anciens diplomates dans cette région, qui ont pondu une réflexion sous forme de rapport confidentiel portant sur les relations futures de la France avec le Maghreb. Il est, notamment souligné dans ce rapport, que la France n'a plus, en effet, comme au temps du général de Gaulle, une vision précise de ce qui fait l'originalité, la constance et la force de son rapport avec le Maghreb. Une critique à peine voilée à l'égard de la politique menée par l'ancien président français vis-à-vis des partenaires maghrébins, le Maroc, la Tunisie et l'Algérie, notamment. Les rapports privilégiés entretenus avec l'ancien et le nouveau régime du Royaume chérifien par son prédécesseur aux dépens d'une approche plus globale et juste en direction de l'ensemble maghrébin, ne semblent pas avoir fait l'unanimité chez la classe politique française. Il est reproché jusque-là à la diplomatie française de manquer de vision claire de ce qui fait la constance et la force de son rapport avec le Maghreb comme au temps du général de Gaulle. Le rapport en question a été mis au point à la veille de la dernière élection présidentielle française et diffusé dans les cercles du pouvoir de France sous l'appellation «Rapport Avicenne». Il juge insuffisant l'investissement politique de Paris dans cet ensemble régional et le niveau de ses relations économiques et la valeur de l'aide qu'elle lui alloue, ne semble pas à la mesure de ce qu'il représente dans le présent et le futur pour sa sécurité, sa prospérité et aussi pour l'harmonie de sa construction nationale. Même si la coopération chiffrée en matière économique reste conséquente. Les auteurs du rapport considèrent que la France gère tant bien que mal un acquis sans vision d'ensemble ni perspective et jugent l'approche développée jusque-là fractionnée et orientée au profit des relations bilatérales marquées d'une forte subjectivité, influencée, elle-même, par des préjugés durables. C'est ce qui explique peut- être le renouveau entrevu dans la démarche sarkozienne dans sa vision de partenariat avec les voisins maghrébins. L'entame de sa visite, à partir d'Alger, et la réaction du Maroc sont peut-être les prémices d'une nouvelle ère.