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La palette s'élargit et c'est tant mieux
Béchar. 2e Festival de Gnawi
Publié dans El Watan le 28 - 05 - 2008

Les formations racontent des histoires oralement transmises en ne cessant de tenter de réinventer la mythologie de l'art du karkabou pour que celui-ci entre une fois pour toutes dans la pérennité d'une nation.
Elles font du style gnawi une pièce d'identité, leur pièce d'identité pour exister à côté des autres formes musicales d'expressions populaires qui émergent sur les villes et campagnes, qui submergent les goûts musicaux de larges franges de la société subjuguées par la magie du satellite. Venues des quatre coins du territoire algérien, les troupes gnaouies font aujourd'hui ce qu'on attend d'elles, chanter quelque chose qui nous ressemble, s'exprimer dans une langue qui nous parle, nous interpelle, nous secoue. La troupe Es-Sed —première association musicale à intervenir en cette troisième journée du festival gnaoui qui se tient annuellement à Béchar — est totalement inscrite dans cette optique. Textes et musiques sont dans la nécessité de raconter les drames de maintenant, une nécessité d'aujourd'hui avec des repères exhumés de vieux morceaux d'hier. Consciente de l'enjeu du moment, la troupe tente de se frayer une voie personnalisée, une percée esthétique qui puisse lui garantir une place, un espace propre en ces temps de mutations rapides, le temps des globalisations, le temps des effaceurs. Sur scène, le signe gnaoui avec ses couleurs, ses odeurs et ses veines africaines est convoqué dans une chorégraphie soignée et un langage à outils modernes. La troupe de la cité des houillères surfe avec élégance, l'élégance de l'authenticité, sur de nouvelles dynamiques, s'ouvre aux lourdes tendances qui marquent les grandes déclinaisons du ghiwane d'aujourd'hui. La parenté avec les fabuleux groupes marocains Jil Jilala Nass El Ghiwane et Lemchahab ne fait pas l'ombre d'un doute. Elle est soulignée, revendiquée comme legs partagé, enrichi par la touche locale. Les visages des interprètes dégageaient beaucoup d'émotion, le son du bendir est au summum. En salle, il y avait des danses et de l'émotion chez les jeunes et moins jeunes. Les femmes bécharies étaient de la partie naturellement. L'équipe qui constitue Diwane Debdaba de la ville de Béchar raconte, elle aussi, une histoire à partir de l'héritage transfrontalier. Soucieuse de transmette, à l'identique cette fois-ci, les ressorts esthétiques et spirituels liés à la mythologie du genre gnaoui et à ses rites sacrificiels (que d'aucuns situent la provenance de Guinée et d'autres du Ghana et de lieux encore moins définis), cette association nous convie à une longue balade au sein de cet art apte à faire parler les chaînes de l'esclavage, au sein d'une communauté de destin marquée par les longues persécutions et la longue marche pour la libération qui s'en suivirent. Du haut de ses quatre-vingts ans, Ammi Brahim, superbement « armé » de son guembri, fait le guide éclairé dans ce long voyage à travers l'épopée mouvementée de générations qui ont compris que l'art peut être le meilleur rempart contre toutes les oppressions. A son tour, la troupe de Sidi Blel de la ville de Mascara installe son récit — c'est un rite structuré en véritable récit — sur le registre de la quête. Dans leur spectacle, il y a le thème lié à l'invocation de Dieu — ça débute en premier sous forme de lancement de l'histoire — et celui lié à la chasse. A l'intérieur, course-poursuite, mimes et danses religieuses ou païennes alternent avec des chansons leitmotiv, des chansons impliquées dans le rituel de la recherche du gibier. Remarque importante : dans la prestation de ses éléments, pris individuellement, la troupe venue du pays de l'Emir accorde une importance particulière au jeu acrobatique, aux costumes de scènes, bariolés et aux expressions du visage. Plus que toutes les équipes qui se sont succédé sur les planches de la scène du cinéma municipal, le groupe de Mascara s'est particulièrement distingué dans le style théâtral. En effet, le visuel, nourri aux mythologies anciennes ou imaginaires dans sa partie costume, lumières et scénographie (au sens d'aujourd'hui), emprunte fortement ses ressorts esthétiques et d'action au jeu dramatique propre aux règles du quatrième art. L'univers onirique mis sur scène n'est pas uniquement une affaire de karkabou et de guembri, mais également de composition d'acteur dans une superbe géométrie d'interprétations individuelles dessinées avec ardeur. Ce qui démontre encore une fois que les arts dits majeurs — par opposition aux arts dits primitifs — ne sont finalement que le manifeste culturel d'une longue et fantastique jonction d'expressions humaines façonnées par les âges, façonnées à travers les âges.

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