Il n'existe pas de journée des milliardaires, des bureaucrates zélés, des gagnants du loto, des imbéciles heureux ou des commerçants prospères. Non, les journées consacrées touchent plutôt les travailleurs, les femmes, les arbres, les enfants, le patrimoine, les handicapés… Bref, quand vous devenez une date symbolique, vous pouvez raisonnablement commencer à vous inquiéter. En règle générale, au-delà de l'attention que l'on espère attirer à votre égard, cela signifie que quelque chose va mal pour vous. Les artistes algériens n'y ont pas échappé. Ainsi, disposent-ils depuis 1999 d'une journée nationale. Celle-ci correspond à l'exécution du chanteur Ali Maâchi par l'armée coloniale, soit le 8 juin 1958, et donc, dimanche dernier, à son cinquantenaire. Personnage attachant, né en 1927 à Tiaret, l'armée française eut la mauvaise idée de le mobiliser en 1949 à la base navale de Bizerte. Devenu marin, l'enfant des hauts plateaux parcourut les mers. Sa découverte du monde accéléra sa conscience politique, déjà vive. Chanteur romantique et patriotique, agitateur culturel, créateur en 1953 de la troupe Safir El Tarab, il prit les armes, fut arrêté, exécuté sans jugement et pendu par les pieds avec deux de ses compagnons à un platane de la place de Tiaret. Que le 8 juin permette d'évoquer sa mémoire, qui doit beaucoup aux écrits de notre confrère Amar Belkhodja, ne peut qu'honorer l'Algérie. Mais, si, à Dieu ne plaise, Ali Maachi avait survécu, comment aurait-il considéré la situation de ses pairs aujourd'hui ? Le riche programme arrêté cette année s'appuie encore sur « la reconnaissance de la nation » envers les artistes disparus ou vivants. Le Prix Ali Maâchi, institué en 2004 par le président de la République pour « mettre en valeur ceux qui signeront, avec mérite, l'avenir culturel, intellectuel et créatif en Algérie » a été décerné à 30 artistes. Des commémorations ont été programmées dans tout le pays. Bien, mais dans tout cela, les artistes attendent surtout du changement. Même posée de manière maladroite, la question d'un statut de l'artiste renvoie à une attente réelle. Lors de l'interview qu'elle nous avait accordée fin 2007, la ministre de la Culture, Khalida Toumi, avait annoncé un programme dans ce sens. Elle nous a confirmé récemment ses engagements et indiqué que les travaux avaient avancé, tandis que s'engageaient les contacts avec les autres départements ministériels concernés. La Journée de l'artiste pourrait prendre une autre envergure en s'étendant alors sur toute l'année. Pour l'instant, il n'est pas un quartier du pays où, dans la panoplie des sobriquets, on n'ait pas attribué celui d'Artiste. A raison parfois, mais le plus souvent à des voisins bizarres, sinon dérangés. Même en ses fantaisies, la sagesse populaire est terrible de lucidité : c'est qu'il faut être un peu fou pour se vouloir artiste en Algérie !