Je n'ai jamais dit - je ne dirai jamais - que cette histoire est tout à fait vraie. Pourtant, écoutez plutôt. C'est l'aventure de l'araignée qui cherchait un imbécile. En ce temps-là, il y a très longtemps, Anansé l'araignée vivait au bord de la mer. L'océan regorgeait de poissons, le long des côtes de ce pays. Du poisson, mais aussi des crabes, des homards, des langoustes... De quoi faire festin tous les jours - à condition, bien sûr, de se donner la peine de pêcher. Or l'araignée n'aimait pas beaucoup se fatiguer. — Ah, que j'aimerais prendre du poisson et le vendre ! soupirait-elle. Seulement, pour l'attraper, quel travail ! Fabriquer des nasses, les poser... Hé, mais je sais ce qu'il me faut : un imbécile, un pauvre nigaud, pour faire tout le travail à ma place. Trouver un imbécile, se disait l'araignée, ce n'était sûrement pas sorcier. Elle en ferait son associé. Il lui pêcherait des tas de poissons qu'elle irait vendre au marché. Elle garderait tous les sous pour elle et deviendrait riche, riche, cousue d'or. — Mon imbécile, pour le prix de sa peine, je lui laisserai un poisson ou deux, de ceux dont les clients ne veulent pas, et peut-être un crabe les jours de fête. Mais pas de sous, c'est évident, pas de sous. Qu'est-ce qu'un imbécile irait faire de sous ? Et l'araignée se mit en route, à la recherche d'un imbécile. Elle entra dans le village en lançant à tous les échos : — Un imbécile ! Il me faut un imbécile ! Elle avisa une femme qui tournait la soupe dans un grand chaudron. — Je cherche un imbécile, pour pêcher à ma place. Mais l'autre éclata de rire en brandissant sa cuiller de bois. — Un imbécile ? Ce n'est pas ce qui manque ! J'en vois passer à chaque instant. Sur ce chemin d'où tu viens, justement ! L'araignée ne savait trop qu'en penser. Elle poursuivit sa route. Elle arriva sur la plage, s'approcha d'un pêcheur qui ravaudait son filet. — Je cherche un imbécile. — Un grain de mil ? — Un imbécile. — Un crocodile ? — Non ! Un imbécile. Un nigaud, quoi ! — Ah, un magot ! Pardi, moi aussi. Mais tu penses bien que si je m'en trouve un, je me le garde. — J'ai dit : un IM-BE-CI-LE ! corna l'araignée. Et elle s'en fut en marmottant. Un imbécile, elle en tenait bien un, oui - mais sourd comme un pot. Elle eut beau chercher, rien à faire. C'était partout le même refrain. Des imbéciles, elle en voyait. Elle en voyait même partout. Mais pas un seul ne faisait l'affaire. Elle allait se décourager quand arriva le faucon. Elle décida de ruser : — Oh, bonjour, frère Faucon. Si tu venais avec moi pêcher ? Tu m'aiderais à poser des nasses. Mais le faucon avait l'ouïe fine. Ce que cherchait l'araignée, il le savait très bien. Il n'avait rien d'un imbécile et ne comptait pas se laisser berner. — Et pour quoi faire, poser des nasses ? Je n'ai pas besoin de poisson, moi. J'ai de la viande à foison. Mais du haut de son arbre le corbeau avait tout entendu. Il descendit d'un coup d'aile et dit à l'araignée : — Poser des nasses ? Et pourquoi pas ? Je viens avec toi. L'araignée en sauta de joie. — Attends-moi là, Corbeau. Je vais chercher mon coutelas. J'en ai pour deux minutes. (à suivre...)