Professeur Djamil Lebane revient dans cet entretien sur l'organisation des soins en néonatalogie et la prise en charge du couple mère-enfant. Où en est l'Algérie en matière de réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement en rapport avec la réduction de la mortalité infantile ? La santé des enfants est un volet auquel les pouvoirs publics accordent un intérêt particulier, car le taux de mortalité infantile reste le meilleur indicateur du niveau de développement d'une population. C'est un paramètre essentiel des composantes de l'indice de développement humain. Les « instruments » nécessaires et suffisants pour atteindre cet objectif ont été mis à la disposition des professionnels de la santé. On citera entre autres la mise en place du programme national de périnatalité 2006/2009 et la promulgation au Journal Officiel du 10/11/05 du décret n°05-439 portant organisation de la périnatalité et normalisation de la néonatalogie. L'objectif est de réduire la mortalité infantile d'ici à 2015 de deux tiers, en passant de 57,8 enfants sur 1000 mourant avant l'âge d'un an en 1990 à 19 pour 1000 en 2015. Pour atteindre cet objectif, il faut arriver à réduire, entre 2006 et 2015, d'environ 8 points, le taux de mortalité infantile. Ce défi ne peut-être concrétisé qu'en réduisant l'incidence de la mortalité néonatale et, dans une moindre mesure, la mortalité postnatale. Aussi, toute projection future visant la réduction de la mortalité infantile suppose la maîtrise des principales causes qui en sont à l'origine. Ce faisant, la mortalité infantile a subi d'importantes mutations qui se sont traduites, notamment, par un rajeunissement progressif de son calendrier (les décès se concentrent de plus en plus dans les tout premiers jours de la vie) et par une modifications radicale de la structure de ses causes de décès (principalement infectieuse dans le passé, la mortalité infantile d'aujourd'hui est surtout due à la prématurité et d'autres causes d'origine périnatale). Cette mutation a d'ailleurs amené les chercheurs à redéfinir le risque étudié : on parle davantage aujourd'hui de mortalité néonatale précoce ou tardive et de mortalité périnatale, dans la mesure où la mortalité post-néonatale prend de plus en plus un caractère résiduel. Si nous considérons ces taux officiels publiés par l'Office national des statistiques comme la référence en la matière, ce défi est alors largement à la portée de notre système de santé. Cependant, l'effort doit être soutenu, car les acquis peuvent être remis en question. Quelles sont les difficultés liées à la prise en charge du couple mère-nouveau-né dans un service de néonatalogie ? La périnatalogie est une discipline en plein développement où se prennent des décisions particulièrement difficiles et graves, parce qu'elles engagent la vie d'un enfant et l'avenir de sa famille. Les principales difficultés rencontrées dans la prise en charge des nouveau-nés sont l'infrastructure inadaptée et l'insuffisance de qualification du personnel soignant. Sachant que près de la moitié des décès de nouveau-nés surviennent dans les 24 heures qui suivent l'accouchement et jusqu'à 80% dans la première semaine postnatale, il importe que les stratégies se concentrent sur un continuum des soins, c'est-à-dire des soins postnatals adéquats pour le nouveau-né à proximité de la salle de naissance. Cette importante mesure permet d'éviter le « périlleux » transfert et le retard aux soins après leur naissance de nouveau-nés (souvent prématurés) ayant besoin de soins intensifs. Tout doit donc être organisé dans le seul souci de faire bénéficier l'enfant particulièrement vulnérable d'une intervention rapide et efficace, afin de lutter efficacement contre la mortalité et la morbidité néonatale génératrice de handicap. Concernant le personnel soignant, c'est essentiellement en termes de formation que le problème se pose. La néonatalogie fait partie de la pédiatrie et tout le personnel médical des unités ou des services de néonatalogie est spécialisé en pédiatrie. Cependant, la néonatalogie est un domaine de la pédiatrie fort complexe, dont l'exercice requiert des compétences nombreuses et variées : maîtrise des situations d'urgence pathologie et thérapeutique spécifiques, information et accompagnement des familles, dépistage des situations à risque et prévention, réflexion éthique. Le renforcement de la formation des futurs pédiatres algériens en néonatalogie (théorique et pratique) est donc indispensable pour pouvoir mener à bien les activités de santé dans le domaine de la périnatalité et de la néonatalogie. En ce qui concerne la formation graduée, la qualité des stages cliniques dans ce domaine précis mérite d'être apprécié avec attention. Concernant le personnel para-médical, il apparaît nécessaire à la faveur de l'évolution des techniques et des pratiques professionnelles dans leur domaine d'activité d'engager une réflexion sur les conditions d'exercice et le contenu de leur formation. Comment situez-vous l'évolution de la médecine néonatale en Algérie ? À partir des années 1960, dans les pays nantis, la médecine néonatale s'est beaucoup transformée. Les progrès techniques se sont multipliés et ont fait des progrès gigantesques. En Algérie, une première approche de prise en charge de cette catégorie d'enfants a été tentée en 1984 dans le cadre de l'élaboration des programmes de santé en direction de la mère et de l'enfant. Il est vrai qu'avant cette période, les problèmes rencontrés en période post-néonatale semblaient plus accessibles par rapport aux moyens mis à la disposition des professionnels de la santé pour lutter efficacement contre la mortalité néonatale. Un projet pilote, concernant un programme de périnatalité, a été réalisé, pour la première fois en Algérie avec succès, à Blida (MSP-Unicef-Alger 1988/1994). Ce projet a contribué à l'élaboration du premier programme de périnatalité, rédigé en décembre 1988, à Canastel (Oran), mais n'a pas fait l'objet de recommandations à l'échelle nationale. La question concernant la « périnatalité et la néonatalogie » a été planchée en Conseil de gouvernement en avril 2005 et en réponse, les normes en matière de fonctionnement ont été clairement énoncées dans le décret n°5-439. Il appartient alors aux gestionnaires d'appliquer la réglementation en vigueur dans nos institutions. Nombreux sont ceux qui se sont déjà conformés à la réglementation en vigueur. Ce texte est non seulement une protection pour les malades, mais aussi pour les praticiens et les gestionnaires des établissements. Par ailleurs et dans un souci de renforcement du couple mère-enfant, deux instructions ministérielles sont venues compléter et enrichir la prise en charge de ce dernier. Nous voulons parler des soins par « la méthode kangourou » et de l'« initiative, hôpitaux amis des bébés ». Si ces mesures sont appliquées correctement, on peut alors espérer une amélioration notable de la qualité des soins néonatals qui se traduira par une baisse de la mortalité néonatale et son corollaire, une diminution du handicap d'origine périnatale. Quelles sont les perspectives de développement de la médecine néonatale en Algérie ? Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), des soins néonatals de mauvaise qualité sont la cause principale des décès de jeunes enfants. Le désir d'enfant, la prise en charge et l'accompagnement de la grossesse, de l'accouchement et de la naissance ont profondément évolué durant les précédentes décennies. Dans notre société, le nouveau-né est devenu un « bien précieux ». L'âge de la maternité recule, il n'est plus rare de voir une jeune maman primipare (qui accouche pour la première fois) de 30 ans. La maîtrise de la contraception et des solutions d'assistance à la procréation (fécondation in vitro, stimulation, procréation médicalement assistée, etc.) ont rendu souvent possible pour les couples le choix d'une grossesse programmée. De ce fait, parents et familles ont parfois des difficultés à accepter que la grossesse ne corresponde pas toujours à ce qu'ils attendaient. La première priorité est d'éliminer « l'invisibilité » des nouveau-nés. Il faut donc encourager les décideurs à poursuivre et à soutenir les questions concernant la santé des nouveau-nés. Le plus grand défi pour la néonatalogie en Algérie est la prise en charge des prématurés, c'est-à-dire des enfants nés avant la 37e semaine de la grossesse. Ces patients représentent environ 10% (80 000) des naissances en Algérie ; mais ils occupent environ 60% des lits de néonatalogie et sont à l'origine de plus de la moitié des décès de néonatalogie. Un facteur essentiel pour améliorer ces chiffres est la centralisation des naissances à risque de prématurité juste avant leur naissance au niveau des maternités universitaires (encore encombrés par les naissances normales). L'amélioration des techniques et de l'organisation des soins en médecine périnatale permet actuellement, dans les pays développés, la survie de nouveau-nés extrêmement prématurés. Outre le soutien ventilatoire et hémodynamique, ces enfants nécessitent un support nutritionnel important. La réussite de l'allaitement maternel devient alors un enjeu important pour les mères et pour les équipes de néonatalogie. La « méthode kangourou » et le développement du concept « initiative, hôpitaux amis des bébés » sont des axes prioritaires en santé périnatale. La néonatologie ne cesse de progresser et d'avancer pour améliorer la vie de ces « tout-petits ». A cet effet, on n'insistera jamais assez sur le fait que plus une prévention commence tôt dans l'existence, plus son effet est prolongé. Le « screening » néonatal comporte toute une série de tests effectués sur une « gouttelette de sang séché ». Nous devons parallèlement entrer dans la période de prévention de la prématurité et de sa pathologie et des malformations. Cela passe par une amélioration de la surveillance de la grossesse et de la qualité du dépistage anténatal. Pour cela, Il est nécessaire de mettre en place une régionalisation des soins périnataux, comme cela est fait avec succès dans les pays développés.