Deux heures durant, la ville de Yemma Gouraya a retenu son souffle. Ses rues se sont vidées de la circulation. Le trafic, d'habitude dense en fin d'après-midi, s'est étrangement fluidifié. Profitant de cette opportunité offerte par les mâles majoritairement agglutinés devant leurs téléviseurs, les femmes ont pris possession des trottoirs pour faire le shopping. Sur la mythique place Gueydon, véritable cœur battant de la ville, une foule compacte s'est massée devant un grand téléviseur pour suivre la rencontre. La ville n'a sans doute pas les moyens d'offrir à sa population un écran géant ou n'y a pas pensé. Il faut glisser son regard à travers une forêt d'épaules et de têtes pour tenter d'apercevoir un bout d'action. Il n'y a pas de place même sur les branches d'arbres occupées par des supporters bariolés. Les actions sont chaudement commentées et les attaques béjaouies sont suivies avec une ferveur religieuse. Celles des Tlemcéniens donnent des sueurs froides aux spectateurs qui n'arrêtent pas de se mordre les doigts. Des cris de dépit ou de rage fusent à chaque action. Certains préfèrent prier Dieu et Yemma Gouraya de faire balancer le sort de Dame coupe du côté du port bougiote. Les plus jeunes laissent tomber des cris et des jurons tandis que les plus vieux laissent choir, d'un ton sentencieux, des commentaires savants sur la stratégie ou la tactique à adopter. Il faut dire que la ville s'est préparée depuis une bonne semaine à cet événement que tout le monde espérait historique. Elle s'est pavoisée aux couleurs vert et rouge de son club fétiche. Béjaïa a toujours cru en cette coupe d'autant plus que la JSMB a battu le WAT en championnat à l'aller comme au retour. Pendant les prolongations les Tlemcéniens se montrent plus incisifs mais Njeukam, le gardien, fait des miracles. Prévoyant une catastrophe, les bras montent souvent en l'air, en prière muette, avant de retomber l'instant d'après pour un court moment de soulagement. Dans les cafés et les bars enfumés de Béjaïa, c'est la même atmosphère de suspense et d'angoisse, les yeux rivés sur l'écran. Le monde est rond comme un ballon qui s'obstine à ne pas rentrer dans les filets. Les prolongations arrivent sans rien apporter de nouveau au score d'égalité des deux équipes. Les gars de Tlemcen partent à l'assaut de la citadelle hammadite. Comme en 1327, lorsque le royaume zianide a fait le siège de la ville de Béjaïa pendant sept ans avant d'abdiquer, la défense bougiote plie mais ne rompt pas. C'est bientôt la fatidique épreuve des penalties. Tout le monde retient son souffle sur la place Gueydon avant de laisser éclater des clameurs qui font tressaillir les bancs de poissons au large du golfe de Béjaïa lorsque les Hammadites marquent alors que les Zianides font chou blanc. Un supporter tombe dans les pommes. On l'asperge d'eau pour lui faire reprendre ses esprits égarés dans les filets de Gaouaoui. Lorsqu'il reprend connaissance, la coupe a définitivement penché en faveur de Yemma Gouraya. C'est la folie dans la ville. Devant le TRB, en face de la caméra de l'ENTV, des centaines de supporters laissent éclater leur joie. Des cortèges de voitures laissant voir des mines révulsées de bonheur ont pris possession des rues de la ville qui s'apprête à vivre une nuit d'ivresse et de folie. C'est la même ambiance de joie dans toutes les villes de la Soummam. Le duel des villes historiques a tourné à l'avantage de Béjaïa qui rentre, pour la première fois, dans l'histoire de la coupe d'Algérie.