La corniche de La Madrague, à l'ouest d'Alger, n'est plus. On s'en souvient, les premiers travaux consistant à détruire la falaise avaient provoqué la colère des habitants du coin à l'encontre de la direction des travaux publics. Motif avancé par ces derniers : aménager une plage pour permettre aux estivants de profiter de la joie du bain à proximité du port, tout en désengorgeant les plages limitrophes. C'était il y a un an. Qu'en est-il aujourd'hui ? Nous reprenons le chemin qui nous avait conduits à l'époque pas loin d'un célèbre restaurant, Sauveur, au pied d'un amas rocheux où se mêlent grottes creusées par des lames de vagues et habitations acrobatiques. Place à la route A droite du restaurant, lorsque la roche se dressait droite et noire face à une houle claquante et profonde, il ne reste, pour ainsi dire, rien. Ou plutôt une plate-forme de pierres et de terre écrasée par les engins lourds, tels que les bulldozers et les tracteurs. Un panneau jaune renseigne sur les travaux qui s'y déroulent : il est question d'aménager une plage dite El Djamila et une promenade. Les travaux doivent durer quinze mois, selon la signalisation. A gauche, une jetée déjà existante composée en amont de brise-lames. En poursuivant à droite, à l'emplacement de l'ancienne falaise qu'il fallait pratiquement escalader pour avancer, la place est dégagée, plate. La houle a fait place à une eau calme, plate et bleue. La plage El Djamila a pris forme. Elle est barrée sur le front nord par une jetée. En fait, la plage est en forme de U, encadrée à droite et à gauche par une ligne de béton de plusieurs mètres. La plage, au centre, est constituée de granulats d'un diamètre plus gros que le sable, mais moins lourds que des galets. A s'imaginer sous un parasol et quelques chaises longues alentours, on aperçoit le port El Djamila à gauche, avec en toile de fond la côte ouest et l'hôtel Sheraton qui se découpe. Les travaux sont toujours en cours, mais l'ossature de la plage a pris forme. L'année dernière, à l'endroit même de la plage, le courant exposait l'écume à sa puissance, et la mer très profonde se faisait menaçante. Une petite plateforme traçait une sorte de route entre la falaise et l'eau, permettant à ceux qui ont l'âme aventureuse de grimper pour voir le panorama. Les grottes pleines de vase, qui abritaient les clandestins de l'amour et les amateurs de bière, ont été creusées, vidées de leur substance, éclatées à la surface et découvertes à l'œil inquisiteur. Un passant dira : « Ils n'ont plus où aller ces voyous. » Certains y voient là une mesure satisfaisante pour lutter contre la délinquance qui y sévissait. « Il était impossible de venir se promener le soir ici, tellement c'était mal fréquenté », poursuivra le passant. D'autres, au contraire, ne voient pas l'intérêt d'amener la foule à fréquenter le coin. « Avant, La Madrague c'était pour les gens de La Madrague et des alentours. Maintenant ils vont venir de partout pour faire trempette ici », tonne un sexagénaire qui semble du quartier. Un brun nostalgique, il aura le regard vague lorsqu'il évoquera la physionomie particulière de la falaise. Sauvage et impropre à la ballade, la corniche s'était constituée l'antre d'une végétation locale cachant les nids d'oiseaux de la faune avoisinante. Aujourd'hui, la découpe ciselée et en dentelle de la falaise a fait place à un parterre linéaire, rangé et dégarni. Comme pour la délinquance, les oiseaux ont déplacé leur nid.