Le rocher noir de la Madrague, qui s'est effondré comme un château de cartes, a ému les esprits et fait chavirer les cœurs des citadins. Touchés par le sort réservé à cette crique naturelle, beaucoup de riverains se sont manifestés, ont donné l'alarme et fustigé à grands coups de tambour. « Nous voulons que vous, la presse, disiez au secteur des travaux publics que c'est un massacre. Nous lançons un SOS pour sauver cette crique », s'émeut Nordine Hellel. Rétrospective Les faits remontent, à ce jour, à plus d'un mois et se situent sur la côte de la Madrague, à l'ouest d'Alger. Des bulldozers étaient calés contre la roche à casser la pierre. Des travaux étaient, visiblement, en cours et consistaient, selon les autorités, à l'aménagement du littoral ave la construction d'une plage artificielle. L'endroit ciselé naturellement et qui compose avec une houle ravageuse venant de l'est est peu fréquenté si ce ne sont des voyous qui s'adonnent à la prostitution ou consomment de la drogue, profitant de la pénombre qu'offre le site et de l'absence d'affluence, indiquent des techniciens rencontrés sur place. Des rochers, auxquels quelques algues semblent s'agripper comme un bébé à la jupe de sa mère, émergent de l'eau dont le bleu foncé témoigne de la profondeur. Le projet est éloquent mais invite à la question lancinante sur le respect dû à l'écosystème local. Les quelques techniciens rencontrés sur place prétendent qu'il n'y aura aucun bouleversement et du point de vue social, la plage artificielle est une bonne chose. Les travaux, prévus pour 18 mois et ayant débuté depuis environ un mois, laissent présager encore beaucoup de rebondissements, vu l'ampleur de la tâche et le peu d'enthousiasme exprimé par les riverains.« Je m'appelle Hellel Nordine, j'habite la Madrague et j'ai vu mes enfant et mes petits-enfants y nager. Je dénonce fermement cette entreprise. Ce n'est pas de l'aménagement mais du saccage, de la destruction, du massacre. » L'homme, la soixantaine, semble avoir renoué avec son entrain d'antan tant la question l'exaspère. « Je suis prêt à rencontrer le directeur des travaux publics ou le ministre des travaux publics pour convenir d'un arrangement et mettre fin à l'aménagement de cette plage », poursuit, il en rejoignant le site dévasté par les bulldozers. Absence de communication De la pierre bleue jonche le sol, la falaise où quelques grottes sont venues se nicher affiche un spectacle esseulé comme un clown dont le maquillage coule. La pierre bleue de la carrière s'est invitée au ballet où le jaune sable, le noir rocheux et le bleu marin composent, sans touche artistique, mais comme une palette broussailleuse et vulgaire. « Il faut des siècles à la mer pour creuser ces petites niches dans la roche et servir de vivier à la faune environnante. Ils arrivent avec leur massue et détruisent tout », répond M. Trabelsi Abdelkader, venu rejoindre M. Hellel. M. Trabelsi est membre de l'association les amis de la Madrague. Il déplore la précipitation avec laquelle les travaux ont été engagés et l'absence de communication. « Nous n'avons pas été consultés sur l'aménagement de la plage mais, déjà, lorsqu'il fut question il y a plus d'un an aujourd'hui de détruire la plage existante pour en faire un port, nous leur avons proposé de laisser la plage en l'état et d'occuper plutôt la corniche pour amarrer les bateaux puisque l'eau y est plus profonde », raconte M. Trabelsi. Il précisera, à ce propos, que malgré les recommandations de l'association, la plage a été réduite pour l'aménagement du port et assure que d'ici l'hiver, le port de la Madrague sera ensablé. Les deux sexagénaires, enhardis pas la désolation théâtrale de la corniche, se demandent pourquoi ces travaux n'ont pas été dirigés en faveur de la plage de la Jeunesse sur le versant ouest ou sur la plage de l'îlot sur le versant est. « Cela aurait coûté moins cher et n'aurait pas porté de coups à l'écosystème local », ajoute M. Hellel. De même qu'il aurait été loisible de créer un complexe sportif nautique sur la corniche plutôt que d'avoir à aménager une plage artificielle. « Lorsqu'on observe les schémas que m'ont montrés les techniciens sur place, la plage artificielle va être composée d'une promenade qui sera fermée par un mur d'une hauteur d'environ 4,50 mètres. Derrière ce mur, seront disposées d'énormes pierres. Le but sera d'empêcher la houle du large de venir asperger la plage. Mais si l'on observe bien, on aura à gauche la falaise, à droite le mur de 4,50 mètres de hauteur et en face la mer, mais pas le large, car, en face, cela débouchera sur une mer elle-même fermée par la jetée composée également de grosses pierres. Cela va fonctionner en vase clos sans mouvement marin et aucune perspective de voir évacuer la pollution ambiante ; c'est pour cela que je parle de baignoire. Dans quelques années, je ne donne pas cher que le site sera complètement pollué », indique M. Hellel. Les deux hommes ne trouvent plus de mots pour communiquer. La vitalité, tout à l'heure présente, a laissé place à une sorte de léthargie comateuse. Les bras ballants, le regard fixé sur l'horizon, les deux hommes s'accrochent à quelques anecdotes sur Brigitte Bardot qui aurait rencontré son époux à la Madrague et qui aurait attribué l'appellation à leur maison dans le sud de la France. Dans un dernier soubresaut salvateur, M. Hellel dit : « C'est un appel au secours : Ne détruisez pas la Madrague. ».