Au bout de la troisième réunion entre les notables malékites et mozabites, chacune des deux communautés a réalisé à quel point les évènements ont fait mal à la ville de Berriane. C'est ce qu'a déclaré Hadj Brahim Nechat, membre du conseil des malékites, dans cet entretien qu'il nous a accordé. Votre conseil était absent lors des derniers évènements. Comment expliquez-vous cette carence ? Le conseil n'était pas absent, mais dépassé par la gravité de la situation. Le conseil, composé des notables des huit tribus malékites, a été créé lors des premiers évènements qui ont éclaté au mois de mars dernier. Nous avons décidé qu'il y ait à chaque fois un président de réunion et non pas du conseil. Ce qui permet à la structure de ne pas sombrer dans les problèmes liés au leadership. Il est important de préciser que c'est grâce au dialogue lors des réunions avec les notables mozabites que nous avions réussi à faire revenir le calme. Mais cette fois-ci, la situation nous a dépassés. Fort heureusement, il y a des gens de bonne volonté qui ont tout fait pour réactiver la structure et surtout se réunir avec le conseil des ibadites qui lui est également représenté par huit arch (tribus) dans le but de renouer le dialogue et arriver à une solution consensuelle. Les premières réunions ont été difficiles, mais nous sommes arrivés à un consensus et surtout à une réconciliation entre les notables. Un mois après les évènements et avec un peu de recul, avez-vous une idée sur ce qui s'est passé au juste les nuits du 16 au 18 mai dernier ? Ce que nous savons pour l'instant, c'est que des tracts ont été distribués dans les quartiers des deux communautés. Ils comportaient de graves accusations et incitaient les gens à la violence. Ajouter à cela les folles rumeurs sur des attaques contre des mosquées malékites ou des maisons mozabites, au point où la confiance s'est rompue entre les deux communautés et la peur de l'autre s'est installée. Il y a des jeunes qui ont été arrêtés par les services de sécurité, mais c'est à la justice de trancher leur cas. J'espère de tout cœur que la sanction contre les auteurs de ces troubles soit à la hauteur de la gravité des actes commis. Et je prie Dieu que les innocents retrouvent leur liberté. Berriane a toujours été le symbole de la cohabitation. Pendant la guerre de libération, nous cohabitions avec les juifs, les chrétiens, sans aucune animosité. Aujourd'hui que nous sommes entre musulmans, nous n'arrivons pas à nous entendre. C'est très grave pour nous. Mais nous savons qu'il y a des gens qui ont tout fait pour arriver à cette situation. Que Dieu leur réserve le plus dur des châtiments parce qu'ils ont semé la fitna entre nos enfants. Lors de la première réunion qui a précédé les derniers évènements, certains qui estimaient que la crise était politique ont demandé à ce que les malékites puissent avoir leur propre commune. La réaction de la majorité a été exemplaire. Tout le monde a estimé que l'actuel maire est celui de tout le monde. Il a été élu par la majorité des Mozabites et des malékites. Pour nous, il est le maire de tous. Il n'est pas question de créer une autre commune, encore moins de tracer une ligne de démarcation entre les deux communautés. Quelle que soit sa casquette politique, nous voulons juste un maire équitable et impartial. Un rôle que M. Hadjadj joue pleinement depuis son élection. Ce qui explique le respect dont il jouit à Berriane. Selon vous, qui sont ces jeunes enturbannés qui jetaient les cocktails Molotov dans les maisons lors des émeutes ? Je ne peux être affirmatif. Mais je sais que ces jeunes ont caché leurs visages avec des chèches pour ne pas être reconnus. Je sais aussi que des gens sont venus d'autres régions pour semer le trouble. Qui sont-ils ? Je n'en sais rien. Et c'est l'avis de tous les autres notables. Nous sommes convaincus que cette situation était voulue et commanditée. Vous savez, lors des premiers évènements, des Mozabites, par peur, ont quitté leurs maisons, mais ils ont laissé leurs clés chez leurs voisins malékites ,et après, ils sont revenus. Mais cette fois-ci, la violence a pris le dessus et personne ne pouvait contrôler les jeunes des deux côtés de la ville. Quelle est la situation actuelle des jeunes qui travaillaient chez les Mozabites ? Bon nombre d'entre eux ont abandonné leur travail par peur et d'autres ont préféré démissionner sans aucun motif. Dans les deux cas, nous n'avons rien pu faire. Il y a aussi ceux qui ont été mis en congé par leur patron, jusqu'au 24 juin. Le temps que la situation se décante. Mais beaucoup d'autres continuent à travailler sans aucun problème. C'est une crise qui a besoin de temps pour se résorber. Beaucoup estiment que la situation était au rouge, mais les autorités sont restées passives… Je peux vous dire que lorsqu'on laisse la justice se faire par des personnes, il faut s'attendre au pire. Berriane était le chef-lieu d'une daïra de cinq communes, dont quatre sont devenues des daïras dotées de sûretés de daïra, et Berriane est restée avec une seule brigade de gendarmerie avec à peine une vingtaine d'éléments. Est-ce normal pour une ville de 30 000 habitants ? Lors de nos réunions au niveau des conseils, nous avons pris de nombreuses décisions, dont celle qui consiste à veiller à ce que à chaque fois qu'il y a un problème entre un Mozabite et un malékite, le règlement se fait entre les deux belligérants, au pire au niveau de la justice, et ne jamais confondre les personnes avec les communautés. Nous avons aussi retenu le fait que les enfants ne doivent pas être séparés. La période des vacances sera mise à profit pour panser les blessures, et à la rentrée, les choses reprendront leur cours. Les enfants sont les premiers à avoir lourdement souffert de cette tragédie. Même si le taux d'absentéisme aux examens a été très faible, 1,7%, alors qu'habituellement, il est de 3 à 4%, le taux de réussite n'a pas été important. Il était de 40% dans le cycle primaire. Ce qui est très faible par rapport aux autres années. Même les lycéens n'ont pas travaillé au bac et l'on s'attend à des résultats très faibles. Nous espérons que les vacances seront utilisées pour réfléchir à l'avenir. Avec du recul, nous nous sommes rendus compte que ces violences nous ont lourdement affectés et porté préjudice à notre région. Pour nous, ils sont la honte de la région.