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Un large débat populaire pour réconcilier l'Etat et la société
Révision de la constitution
Publié dans El Watan le 29 - 06 - 2008

Une nouvelle Constitution est à l'ordre du jour. D'abord, évacuons la question de l'élection présidentielle.
C'est par l'équilibre des pouvoirs, les droits des citoyens, le mode de gestion des affaires publiques que s'exprime le caractère démocratique d'une Constitution et non par la limitation du nombre de mandats électifs. Une société libre, démocratique peut très bien s'accommoder d'un chef de l'Etat rééligible plusieurs fois. Cette révision constitutionnelle mérite un très large débat ouvert à tous les citoyens quelles que soient leurs sensibilités et partout : sur les lieux de travail et d'études, dans les médias, dans des espaces publics que l'on prévoira à cet effet. Elle gagnerait ainsi en légitimité, et ce débat pourrait ressouder le lien social si fortement éprouvé.
Il ne suffit pas qu'une Constitution énonce des droits et des libertés pour qu'elle soit réellement démocratique. Il faut qu'elle permette à une véritable culture démocratique de s'instaurer en mettant en place des mécanismes de gestion démocratique à tous les niveaux. Elle ne devrait pas se limiter à de simples replâtrages juridiques concernant l'organisation des pouvoirs au sommet. Elle doit apporter des réponses aux insuffisances constatées pour améliorer la gestion des affaires publiques en y introduisant plus d'équité, de justice, de transparence.
Le déficit de confiance entre le citoyen et ses institutions est grand : l'abstention atteint des taux exceptionnels, le recours à la contestation souvent violente est de plus en plus fréquent. Beaucoup de citoyens pensent que l'Etat ne prend pas suffisamment en compte leurs préoccupations, les canaux d'expression semblent fermés. Pour eux, la gestion des affaires communes semble se faire, à tort ou à raison, au profit de groupes limités qui influent sur les décisions. Cette attitude rend parfois dérisoires les efforts d'un grand nombre de fonctionnaires et d'élus méritants. Sortons de l'Etat qui sanctionne, bloque, suspend, interdit, impose, donne, enlève, soumet la société pour aller vers l'Etat qui consulte, cherche à convaincre, concilie les intérêts divergents, encourage, facilite, aide la société à s'organiser et à se développer en l'accompagnant, et à laquelle il est soumis.
Un Etat où le citoyen peut obliger l'autorité à prendre en compte ses préoccupations en ayant recours à des canaux pacifiques d'expression ; où l'administration est tenue à l'obligation de dialogue social qui fait que toute décision d'importance est le fruit d'une concertation préalable ; où le bien public quel qu'il soit est accessible d'une manière transparente à tous ; où les décisions arbitraires de l'administration sont susceptibles de recours devant des instances indépendantes de médiation ; où le respect de la loi et de la décision de justice prime sur l'ordre de la hiérarchie ; où il y a obligation de service public et non des faveurs laissées au pouvoir discrétionnaire d'un fonctionnaire. Le citoyen ne doit pas être celui qu'on surveille, qu'on contrôle, qu'on soumet. De même, l'Etat ne doit pas être celui à qui on doit échapper, qu'on doit tromper et dont les règles doivent être contournées ou ignorées. La confiance doit être rétablie et renforcée.
Obligation de dialogue social, égalité devant le bien public, instances indépendantes de recours, participation directe des citoyens
Peut-être, est-ce l'occasion d'avancer dans la construction de l'Etat démocratique et social, objectif fixé, le 1er Novembre 1954, de refonder l'Etat, entendu comme émanation d'une volonté commune librement exprimée et admise par tous et dont les instruments servent l'intérêt général ?
La Constitution devrait mieux affirmer les droits et libertés des citoyens et redéfinir les missions de l'Etat. Le domaine des libertés n'est pas un principe limitable. Il n'y a pas des soumission de l'individu à une volonté supérieure quelle qu'elle soit, incarnée par un individu ou un groupe ou exprimée en tant qu'idéal. L'Etat est soumis à la volonté générale et son but est de préserver les droits des citoyens. Les droits fondamentaux et les devoirs des citoyens sont la base de l'unité du peuple. Ces droits existent avant l'Etat, sans l'Etat, malgré l'Etat, et se placent au-dessus de l'Etat. L'Etat n'accorde pas de droits fondamentaux, il les garantit et les protège. Il sanctionne ceux qui y portent atteinte, même quand il s'agit de ses propres agents. Ces droits ne sont pas soumis à la loi, car au-dessus de la loi. Principe essentiel : le pouvoir de l'Etat n'est pas illimité. Il doit être contenu. Le citoyen doit être protégé. Toute décision d'importance de l'Etat et de l'administration locale doit être soumise à la concertation préalable.
Elle peut faire l'objet de recours devant des instances mixtes de médiation où les représentants de l'Etat ne sont pas majoritaires. Distinguons deux grandes missions essentielles de l'Etat : celle de gérer les affaires communes dans l'intérêt général et celle de protéger les citoyens et d'arbitrer les conflits en faisant respecter la loi, y compris par la force si nécessaire.
Cette distinction est capitale en démocratie, pour éviter justement que ceux que nous chargeons de gérer nos affaires soient tentés d'appliquer la loi au détriment de l'intérêt général. Car ce mandat que nous accordons à ceux que nous aurons choisis ne doit pas devenir domination, et notre adhésion ne doit pas devenir soumission. Cela veut dire que la fonction judiciaire est complètement indépendante de l'appareil exécutif, et que les services chargés d'appliquer la loi et de protéger le citoyen sont d'abord soumis à la loi et à la décision de justice qu'ils sont tenus de respecter, même s'ils peuvent être soumis à une hiérarchie dépendant du pouvoir exécutif. A notre avis, une révision constitutionnelle devrait porter, au moins, sur les points suivants :
Une gestion plus démocratique des affaires publiques ;
la libre expression du citoyen ;
une plus grande indépendance des missions d'arbitrage ;
Une gestion plus démocratique des affaires publiques
Elle suppose au moins :
Une répartition équilibrée des pouvoirs de gestion entre élus et fonctionnaires centraux ;
l'obligation de dialogue social par le recours à des instances indépendantes de médiation ;
l'égalité des citoyens dans la répartition de la richesse nationale qui exige que celle-ci ne peut pas être du seul ressort des fonctionnaires nommés, mais garantie par des instances indépendantes qui fonctionnent exclusivement en séances publiques ;
la participation directe des citoyens ainsi que des compétences et des partenaires économiques et sociaux dans la gestion des établissements publics ; la définition et l'exécution des programmes de développement ; les politiques sociales ; le contrôle de l'exécution des dépenses publiques ;
une obligation de service public pour les administrations et les entreprises placées de droit ou de fait en situation de monopole. Le pays a trop vécu avec une gestion centralisée, parfois même personnalisée où les élus occupent une mission marginale où les compétences et les acteurs économiques et sociaux sont absents et où les citoyens n'interviennent pas.
La gestion centralisée où le fonctionnaire a parfois le libre pouvoir de décider sans consulter personne, sauf à s'en remettre à sa hiérarchie, a atteint ses limites et elle est source de blocages dans le développement, de contestation et de mécontentements. On ne peut pas répondre à la demande sociale de plus en plus en plus forte et diversifiée ; assurer la cohésion sociale ; prendre en charge les intérêts des différentes catégories de citoyens ; mobiliser les partenaires économiques et sociaux autour des efforts nécessaires pour le développement du pays ; freiner la dilapidation des finances publiques maintes fois dénoncée, sans dialogue social préalable et obligatoire ; consultation et participation des concernés à la prise de décision ; gestion partagée des finances publiques.
Il faut en fait « socialiser » la gestion des affaires communes. Celle-ci ne doit plus être le fait de décisions uniques imposées par une administration centralisée, mais le résultat d'une concertation préalable avec tous les concernés, d'un équilibre entre différentes instances complémentaires, donc décision partagée, prise en public, ouverte à la participation de la population, et dans tous les cas soumise à recours devant des instances de médiation indépendantes de l'exécutif.
La nouvelle Constitution devrait donc affiner l'obligation de dialogue social et répartir la responsabilité de la gestion des affaires communes (notamment en ce qui concerne le développement économique, le social, l'éducation, l'aménagement,... ) entre des instances complémentaires et dont les compétences s'équilibrent (les représentants de l'administration centrale, des collectivités élues, des partenaires économiques et sociaux) et prévoir des instances de recours et de régulation indépendantes des pouvoirs exécutifs, tant centraux que locaux.
On pourrait faire un saut vers plus de démocratie en prévoyant, au sein de ces instances de médiation, la présence des compétences locales et de citoyens désignés pour chaque session par tirage au sort direct au niveau des bureaux électoraux. Dans le même sens, la Constitution devrait affirmer l'égalité totale des citoyens dans la répartition de la richesse nationale, dans l'accès au bien public sous toutes ses formes et aux aides et gratifications diverses, matérielles ou non. Là aussi, il faut mettre en place les instances mixtes qui fonctionneraient exclusivement en séances publiques.
Les établissements publics, notamment ceux de l'éducation, de la santé, des affaires sociales, de la culture, devraient être gérés sous l'autorité de conseils d'administration composés de représentants de l'administration centrale sans qu'ils soient majoritaires, des élus, des citoyens par tirage au sort, des représentants des partenaires économiques et sociaux, et des élèves et étudiants pour l'éducation. Il doit en être de même pour les entreprises publiques. Dans tous les cas, les gestionnaires de ces établissements sont nommés sur appel à candidatures, discussion des projets et des engagements des candidats, sélection par les conseils d'administration.
Les dirigeants disposeront d'un mandat à durée déterminée avec des objectifs d'étape. Les mêmes règles de transparence devront être appliquées pour le recrutement à des postes publics ou subventionnés sur fonds publics.
Le principe de « Hmida »
La gestion des finances publiques mérite une attention particulière, en confirmant le principe « Là où il y a finances publiques, il doit y avoir gestion démocratique », parce que les finances publiques sont le bien de tous. En plus du respect de l'obligation d'égalité des citoyens dans l'accès aux biens publics et des règles qui en découlent, pour ce qui est notamment de la distribution des aides et subventions et l'octroi de crédits, une règle capitale doit être affirmée et respectée : séparation des compétences entre l'ordonnateur de la dépense, celui qui la gère et celui qui en contrôle l'exécution. Cela signifie déjà qu'au niveau national, l'Assemblée nationale a, seule, le pouvoir d'ordonner les dépenses publiques. Aucune dépense, quelle qu'elle soit, ne peut être faite si elle n'est pas inscrite dans un budget voté par elle.
Le gouvernement et ses structures locales, les établissements publics et les assemblées locales élues sont, chacun dans son ressort, responsables de l'exécution des budgets affectés. Le contrôle de l'exécution des dépenses publiques, conformément aux budgets affectés et dans le respect des règles, ne peut être du ressort d'organismes dépendant du pouvoir exécutif, mais par des instances complètement indépendantes. Cela signifie la réhabilitation de la Cour des comptes avec des chambres locales, dont les membres, ayant statut de magistrats, sont régis par des règlements qui leur assurent une indépendance totale vis-à-vis de l'exécutif.
La surveillace de l'exécution des budgets locaux et nationaux, confiée à des commissions d'élus, doit être supervisée par des élus non membres de la majorité politique en charge de l'exécutif. Dans le respect d'un principe bien de chez nous, « le principe de H'mida ». Il y a injustice et partialité, si celui qui joue aux cartes est en même temps celui qui compte les points. C'est-à-dire que celui qui dépense des deniers publics ne peut pas être en même temps celui qui en contrôle le bon usage. (A suivre)
L'auteur est : Cadre


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