La libre expression du citoyen Le mode de gestion des affaires publiques, tel que défini précédemment, suppose au moins un droit fondamental, dont il faut garantir institutionnellement l'expression : celui de l'information et du débat public. Il n'y a pas, en matière de gestion des affaires publiques et du bien commun, d'informations secrètes, de décisions feutrées prises dans des bureaux clos. Toute affaire publique exige caractère public de la décision, donc information disponible à tous et débats. Le citoyen doit être informé sur les dépenses publiques, l'exécution des programmes de développement, la répartition de la richesse nationale. La démocratie exige que ce type d'information soit public, elle en fait une obligation. Le droit à l'information doit être confirmé et, surtout, la garantie de sa mise en œuvre doit être assurée par une instance indépendante de l'exécutif et fonctionnant tant au niveau national que local. Il en est de même du débat public. Les droits de réunion et d'association doivent être régis par des instances mixtes indépendantes du pouvoir exécutif. A titre exceptionnel et à la demande des services de sécurité, une décision de justice pourrait restreindre ponctuellement l'expression populaire sur la voie publique. Car nous touchons là une question capitale en démocratie. Le droit à l'information, le droit d'expression, le droit d'association et de réunion sont des droits fondamentaux du citoyen. L'Etat ne les octroie pas, il est seulement chargé de les protéger et de les garantir. Un droit fondamental ne peut être limité que ponctuellement pour un individu ou un groupe d'individus, jamais d'une façon générale, et seulement s'il y a atteinte aux droits d'autres individus, selon les conditions définies par la loi. Et cette limitation ne peut être que du ressort d'une juridiction indépendante et dans les conditions qui prévoient les recours et les droits de la défense. Cela veut dire que tenir une réunion, constituer une association, un parti ou un syndicat ou encore créer un moyen d'information sont des droits fondamentaux du citoyen, non soumis à un accord préalable pour leur exercice. Leur limitation ne peut jamais être générale et ne peut avoir lieu que dans le cas où l'exercice de ces droits par des citoyens déterminés porte atteinte aux droits d'autres citoyens, et exclusivement par recours à l'autorité judiciaire. Soumettre ces droits à l'accord préalable de l'administration, c'est comme si on chargeait celle-ci de prononcer unilatéralement des condamnations d'ordre pénal ou criminel aux lieu et place des tribunaux qui n'auraient plus de raisons d'exister. Un service public d'information géré d'une façon démocratique, régi par une autorité de régulation ouverte et indépendante de l'exécutif, doit assurer la disponibilité de l'information publique à tous les niveaux (exécution des programmes de développement, bénéficiaires des avantages de l'Etat, utilisation des finances publiques,...) comme il veille à l'organisation du débat public et à la libre expression des différentes sensibilités. Pas seulement au niveau national où les forces politiques expriment leurs critiques et leurs projets respectifs, mais aussi et surtout au niveau local où les sessions de débats et de réponses des élus aux questions des citoyens doivent être obligatoires et régulières : débats annuels sur les problèmes de la commune avec les élus et les partenaires économiques et sociaux, sessions annuelles regroupant des citoyens tirés au sort où les exécutifs informent et répondent aux questions. Le respect de la libre expression des citoyens impose que la gestion des élections dans ses différents aspects (tenue des fichiers, délivrance des cartes d'électeurs, décompte et proclamation des résultats) ne relève pas du pouvoir exécutif mais d'instances locales et nationales indépendantes. Les grands progrès réalisés dans ces domaines devraient être étendus. Une plus grande indépendance des missions d'arbitrage Tout le monde semble convaincu de la nécessaire indépendance du magistrat. Le pays a beaucoup avancé dans ce sens. On pourrait faire plus dans la gestion des carrières et le contrôle du travail des magistrats, dépendant d'une instance indép endante de l'exécutif qui évite en même temps la prédominance du corporatisme. Le Conseil constitutionnel a pour mission de veiller à ce que les lois votées par le Parlement ne soient pas contraires aux dispositions de la Constitution. Son existence témoigne d'une volonté d'éviter les dépassements et de protéger les droits essentiels des citoyens. A ce titre, et en conformité avec un principe bien de chez nous, celui de H'mida, l'instance qui veille à la conformité des lois, ne doit pas dépendre des instances qui font les lois. Donc, le Conseil constitutionnel ne doit pas comporter de membres désignés par le président de la République ni par les chambres du Parlement. Sa saisine ne doit pas être du ressort exclusif de ces derniers. Au contraire, ce n'est pas à celui qui fait la loi de détenir seul le pouvoir de s'assurer que celle-ci est conforme à la Constitution. Le Conseil est obligatoirement saisi de tout texte de loi portant sur les libertés publiques, les droits individuels et collectifs, l'organisation des pouvoirs. Il peut s'autosaisir s'il le juge nécessaire, et enfin le droit de saisine est accordé à tous les groupes parlementaires. Quant à sa composante, on pourrait considérer comme éligibles les magistrats, les hommes de loi et les experts les plus anciens, élus par leurs pairs ainsi que quelques représentants des groupes parlementaires désignés à la proportionnelle. Les services de sécurité sont les seuls habilités à utiliser la force pour faire respecter la loi et protéger les citoyens. Il faut à la fois s'assurer que cette force soit toujours utilisée dans l'intérêt général et conformément à la loi et qu'elle s'appuie sur la population pour prévenir les conflits, contenir la petite délinquance et quand cela s'avère nécessaire dans des circonstances exceptionnelles, protéger la société et ses institutions. Le bras armé de l'Etat est là pour protéger et non dominer. Tout fonctionnaire doit être soumis d'abord à la loi et respecter la décision de justice qui priment sur toute instruction de la hiérarchie. Il gagne en efficacité quand il s'appuie sur les citoyens. Il faut reconnaître que d'immenses progrès ont été réalisés tant par la police que par la gendarmerie. Les dépassements des fonctionnaires sont devenus des cas extrêmement rares et sévèrement sanctionnés et par la hiérarchie et par les tribunaux. La tâche de ces fonctionnaires est difficile et ingrate quand ils supportent les conséquences des difficultés sociales, des injustices et de l'exclusion. Il serait judicieux de codifier des sessions annuelles des APC sur les problèmes de sécurité collective et de prévention et d'y associer des citoyens à titre permanent. Président arbitre ou président gestionnaire ? Les types de régimes politiques existant notamment dans les démocraties occidentales sont suffisamment connus. Quelques précisions devraient cependant être faites : Dans une République Parlementaire, la gestion effective est assurée par le chef du gouvernement responsable devant l'assemblée nationale. Le président de la République est alors l'arbitre, celui qui assure la continuité de l'Etat. Il assume en quelque sorte les grandes missions qui ne sont pas soumises à la sanction des élections législatives. Il représente la nation à l'étranger, garantit le respect de la constitution par le gouvernement et le Parlement, veille à l'indépendance de la justice, à la stabilité du pays. Il a le droit de grâce et d'amnistie et le pouvoir de dissoudre le Parlement. Le gouvernement a en charge la gestion des affaires publiques selon la volonté politique majoritaire du pays, et le chef de l'Etat est là pour faire respecter les valeurs de la nation qui ne sont pas soumises aux règles de la majorité : unité nationale, stabilité, libertés individuelles et collectives, indépendance des différentes missions de l'Etat, respect de la Constitution. Dans un régime présidentiel, le président de la République est gestionnaire direct des affaires publiques. Il est responsable devant les électeurs, son action n'est pas soumise à la sanction du Parlement. Cependant, son pouvoir doit être équilibré de différentes façons : il obtient l'accord du Parlement pour l'exécution du budget et l'approbation des lois, ainsi que pour les mesures d'ordre exceptionnel telles que état de guerre, traités internationaux, état d'urgence. il ne peut pas nommer les juges, ne préside pas le Conseil de la magistrature et n'a pas de droit de grâce ou d'amnistie il ne peut pas dissoudre le Parlement. Ces quelques remarques se veulent une contribution au débat militant et au-delà au nécessaire large débat populaire, comme le FLN en avait institué la tradition. Il appartient évidemment au président de la République, seul légitimement habilité à décider des avancées que l'on pourrait réaliser, selon son appréciation des possibilités et contraintes de la phase actuelle.