Se présentant comme un lecteur assidu d'Arts & Lettres et « un ex-Parisien qui habitait une chambre d'hôtel » (vous allez comprendre pourquoi), M. Abdelkader-Kamel Ouahioune se dit étonné « de ne pas (y) trouver un hommage à l'écrivain Albert Cossery qui vient de mourir dans sa chambre d'hôtel parisienne qu'il occupe depuis 1945. » Cossery n'était pas le seul écrivain à avoir choisi ce mode de vie. On pourrait citer Tenessee Williams, mort dans un hôtel minable de New York, oublié des siens. Au-delà de la solidarité hôtelière qui semble animer notre cher lecteur, il est certain qu'il admirait aussi l'œuvre du disparu. Mais, curieusement, sa missive se concentre sur ce seul fait. Et il propose même que la chambre de Cossery, « orpheline de lui » devienne un musée, ce que n'apprécierait sans doute pas la direction de La Louisiane à Saint-Germain des Prés où la chambre la moins chère est à 70 euros hors-saisons, le petit déjeuner étant de 7 euros. Pour une fois, soyons comptables. Cossery devait donc débourser au moins 2310 euros par mois, en supposant qu'il ne bénéficiait pas d'un tarif de fidélité, ce qui serait étonnant. En tenant compte de ses autres dépenses et du fait, souligné par notre lecteur qu'il affirmait ne savoir « qu'écrire », cela signifiait qu'il pouvait vivre de sa plume, sans mener grand train, mais en assurant une existence honorable. Et là, sans aucun chauvinisme, mais parce que nous existons avant tout pour la culture algérienne, les autres étant assez diffusées par ailleurs, y compris en Algérie, nous ne pouvons que nous demander combien d'écrivains algériens peuvent en dire autant. Tout juste si l'on peut avancer trois ou quatre noms : Rachid Boudjedra, Yasmina Khadra, Nina Bouraoui… Tous ayant édité ou éditant à l'étranger, car en Algérie, un tirage de 3000 exemplaires en littérature est considéré comme un best-seller. La plupart de nos auteurs travaillent dans l'administration, la presse, l'enseignement ou ailleurs, négociant nuitamment leurs temps d'écriture dans des pièces étriquées ou des cuisines au fond de cités médiocres désignées par le nombre de leurs logements. Albert Cossery, qui avait gardé la nationalité égyptienne, était issu d'une famille grec-orthodoxe aisée, originaire de Syrie (d'El Qosaïr, d'où son nom) et installée en Egypte à la fin du XIXe siècle. Il était sans doute un grand écrivain à l'écriture magnifique de simplicité et de profondeur. Il avait écrit notamment ce superbe roman, Mendiants et orgueilleux. Et là, excusez-nous, cher lecteur, si en l'occurrence ce titre nous évoque le proverbe populaire algérien, zalt ou t'farîîne, que l'on pourrait traduire littéralement par « dénuement et pharaonnisme ». Et vous dire combien il peut correspondre à l'état de nos écrivains, pris entre l'étroitesse de leurs conditions de vie et les élans de leurs talents et imaginations.