Qu'elle se dénomme baleine, cachalot, ou encore, Léviathan, eh bien, elle semble très liée à la vie de l'homme. C'est une espèce d'alter ego chargé d'un double sens balançant entre réel et imaginaire. En tous les cas, celle qui, par un jour de grande poursuite dans les mers du sud du Pacifique, broya la jambe du tumultueux Achab, capitaine du baleinier, le Pequod, dans le fameux roman de Melville, aurait bien l'apparence de celle qui avala le prophète Jonas, au 9ème siècle avant Jésus Christ, et ne l'en libéra que trois jours plus tard sur un banc de sable. Et pourquoi ne pas chercher les extrêmes dès lors que la démesure, elle-même, fait corps et âme avec le pouvoir d'imagination chez l'être humain ? Le Saint Coran ne dit-il pas que Jonas "serait demeuré dans son ventre jusqu'au jour de la résurrection ?" Fuyant Ninive, ville au nord de l'Irak, alors qu'il avait la charge de lui transmettre le message de Dieu, le prophète Younes, se retrouva, dit-on, sur les bords de la méditerranée orientale d'où il s'embarqua en direction de l'occident. Le destin voulut que son voyage n'ait pas lieu, puisqu'une baleine mit fin à sa révolte momentanée. Une baleine en Méditerranée, c'est déjà quelque chose d'exceptionnel ! La même histoire, nous la retrouvons beaucoup plus nuancée, dans Les Mille et Une Nuits, lorsque l'infortuné, Sindbad, se fait flanquer à la mer par une grosse baleine. Le passage du temps aidant, celle-ci, réelle, défrayant la chronique en Orient, s'est drapée d'un certain symbolisme, en Occident, où elle aurait donné, selon une belle interprétation de l'helléniste américain, Erich Ségal, un certain crédit à la recherche de l'Eldorado, contrée mythique de l'éternelle richesse et de félicité. Certes, affirme-il, le personnage fougueux de Melville ne fait que personnifier la recherche frénétique du bonheur depuis que l'homme existe sur cette terre. La colombe, synonyme de grâce et de douceur, en Asie mineure, selon la signification biblique du mot « Jonas », devient féroce et cruelle, en Occident. La signification du mot Achab, personnage principal de Moby Dick, ne se rattache-t-elle pas bien à la vie de ce roi du 9e siècle avant Jésus-Christ, renommé par sa cruauté envers les siens ? Il reste que Dhû-n-Nûn, l'homme à la baleine, autre patronyme du prophète Jonas, a laissé derrière lui une panoplie d'interrogations philosophiques depuis qu'il a fui Ninive dans l'espoir de mener une vie bien calme ailleurs. Gobé par un gigantesque cétacé pour s'être révolté contre la volonté de son Créateur, il se retrouve depuis au centre de tous les transports de l'imagination durant le Moyen -Age et même dans les temps modernes. En effet, il est parfois synonyme de malchance, surtout dans le monde des navigateurs, d'autrefois, la personnification même du miracle. A bien retourner la chose, cela donnerait crédit à la double aventure de l'être humain, extérieure comme intérieure, une aventure qui ne semblerait pas prête de se terminer. Et pourquoi prendrait-elle fin alors que l'homme n'en finit pas de marquer des nuances dans ses jugements sur lui-même et sur l'ici-bas ?