«Pour qu'un écologiste soit élu président, il faudrait que les arbres votent.» Coluche Près de 10 jours après l'explosion et le coulage de la plate-forme de BP dans le golfe du Mexique, les Etats-Unis craignent une marée noire dévastatrice. Onze personnes sont portées disparues. Le gouvernement américain a décrété la marée noire «catastrophe nationale». Selon les estimations avancées, le naufrage de Deepwater Horizon provoquerait une fuite sous-marine de 800.000 litres de pétrole par jour. Se rapprochant dangereusement des côtes de la Louisiane, les garde-côtes américains ont commencé à mettre le feu à la nappe de pétrole brut qui s'étendrait aujourd'hui sur 4 800 km², à une trentaine de kilomètres des côtes de la Louisiane, particulièrement active en termes de pêcheries. Cette solution n'est pas sans risque pour l'environnement, la combustion rejetant d'épaisses fumées polluantes. Les conséquences sur la biodiversité pourraient se révéler dévastatrices pour le golfe du Mexique, mais aussi des zones protégées comme l'estuaire du Mississippi, qui comptent de nombreuses espèces d'oiseaux et d'animaux marins. (1) Face à l'ampleur prise par la catastrophe liée à l'explosion d'une plate-forme pétrolière BP, Barack Obama met la pression sur le groupe pétrolier britannique. Il somme la compagnie de colmater la fuite responsable de la gigantesque marée noire qui s'approche dangereusement des côtes de la Louisiane. «Que cela soit bien clair. BP est responsable de la fuite. BP paiera la facture», expliquait le président américain lors de son déplacement en Louisiane ce week-end avant de préciser que «nous sommes confrontés à une catastrophe écologique peut-être sans précédent». (2) Le coût total de la catastrophe pourrait s'élever à quelque 7 milliards de dollars selon un analyste de chez Bernstein. Dans son discours, Barack Obama s'inquiétait tout particulièrement pour l'industrie de la pêche dans les marais de Louisiane. Pour Roger Halphen, dont toute la famille vit de la pêche dans la région, interrogé par Reuters, la pêche des poissons et crustacés dans cette région des Etats-Unis représente à elle-seule près de 20% de la production nationale. «L'étendue de la nappe de pétrole explique qu'il est impossible de contrôler la marée noire. Le seul moyen immédiat aurait été de réussir à colmater les fuites du puits et à ce jour les tentatives de BP - à l'aide de robots sous-marins - se sont soldées par un échec.» La marée noire pourrait continuer de s'étendre pendant 30 à 90 jours. A raison de 5000 barils de pétrole déversés chaque jour dans l'océan, nous risquons donc d'être en présence d'un désastre écologique encore plus grave que la marée noire causée par l'échouage de l'Exxon Valdez en Alaska en 1989.(3) Les marées noires dans l'histoire récente du pétrole Depuis 1967, 86 accidents en 43 ans ont été recensés pour 6,5 millions de tonnes de pétrole dont une vingtaine avec des tonnages dépassant les 100.000 tonnes. L'estimation globale est difficile. En ajoutant les 150 millions de barils (environ 19.737.000 t) estimés déversés sur le sol koweïtien suite à la destruction de près de 700 puits (plus grande catastrophe pétrolière de tous les temps), c'est au total 26 millions de tonnes déversées avec des dégâts considérables sur la faune et la flore marine. On rapporte que la catastrophe du golfe du Mexique a donné lieu à une nappe de 1500 km² pour un débit de fuite de 5000 barils/jour. Proportionnellement, la somme des naufrages et catastrophes depuis une quarantaine d'années est équivalente, toutes proportions gardées, à la superficie de l'Europe (4,2 millions de km²). La surface possible couverte est équivalente à celle de l'Europe!! Imaginons les dégâts occasionnés Quand on sait qu'une épaisseur de quelques millimètres suffit à étouffer la vie. On conçoit le dommage pour la faune et pour la flore. Les oiseaux englués ne s'en sortent pas parce que même dégraissés avec des solvants, ils ne sont plus comme avant. L'Exxon Valdez en Alaska a laissé une nature désolée qui ne s'est jamais complètement remise. Les marées noires ont frappé l'opinion dès l'origine, et furent l'occasion de décisions juridiques qu'il n'est pas toujours facile d'appliquer. L'une d'elles, toute récente, marque la reconnaissance du préjudice écologique dans le droit français: c'est le jugement du procès de l'Erika, le 16 janvier dernier... Le Torrey Canyon, un pétrolier battant pavillon libérien mais appartenant à une compagnie américaine, s'échoue le 18 mars 1967 au large des côtes britanniques. 120.000 tonnes de brut s'échappent de ses soutes pour venir envahir les rivages de l'Angleterre et de la France. Les chercheurs anglais estimèrent à 100.000 tonnes d'algues détruites en quelques semaines par la marée noire, la recolonisation a été suivie pendant une dizaine d'années. L'affaire de l'Erika est fameuse aussi parce qu'elle marque une inflexion juridique en faveur du droit de l'environnement. Les mêmes conséquences ont été observées après le naufrage du pétrolier géant l'Amoco Cadiz le 16 mars 1978 en face du petit port de Portsall, à moins de deux miles de la côte nord- ouest du Finistère, où il y déversa 223.000 tonnes de pétrole léger et 4000 tonnes de fuel lourd en une douzaine de jours. Les conséquences écologiques de cette marée noire ont été catastrophiques. (...) En baie de Morlaix, on a observé une réduction de 20% du nombre des espèces, de 80% de la densité des individus, de 40% de la biomasse totale. A la suite d'une telle catastrophe, on observe trois étapes: une phase de destruction des espèces vivantes puis une phase de stabilisation dont la durée varie de quelques mois à plus d'un an et enfin une phase de recolonisation et de restructuration du peuplement qui s'étend sur une période de 6 à 10 ans. Conséquences de la marée noire de l'Erika 40.000, c'est le chiffre d'oiseaux recueillis vivants, un mois après le naufrage de l'Erika. Si l'on devait comptabiliser les morts, beaucoup plus nombreux, et ceux morts en mer sans laisser de trace, le chiffre serait probablement multiplié au moins par 4!! Cette pollution qui s'est produite au large, a dérivé fortement vers le sud et touche aujourd'hui plus de 500 km de façade atlantique, soit une superficie très importante. (...) Si les oiseaux sont les principales victimes de la marée noire, il ne faut pas oublier que l'ensemble de l'écosystème marin et côtier est touché (la faune comme la flore). Les conséquences humaines (artisans pêcheurs et autres professions vivant des ressources de la mer) comme écologiques (endommagement des dunes du littoral par des manipulations inconsidérées du matériel lourd lié au nettoyage des côtes; déversement de produits chimiques pour lutter contre le pétrole, plus nocif que le mazout) sont inchiffrables et marqueront probablement très longtemps les esprits et l'environnement. (4) «Les premières victimes devraient être les oiseaux pêcheurs», explique Larry Reynolds, responsable de recherche du département de la protection de la nature et de la pêche de la Louisiane. Le pélican, le canard brun local ou encore la spatule rosée sont ainsi en première ligne. Au total, c'est quelque 400 espèces, dont des millions d'individus vivent ou passent par le bord de la mer en Louisiane, qui pourraient souffrir de ce désastre écologique, selon sa liste publiée sur le site du quotidien de La Nouvelle-Orléans, The Times-Picayune. Les poissons, les dauphins, les baleines et les tortues du golfe du Mexique, ne seront pas non plus épargnés puisqu'ils trouvent leur nourriture également dans la mer et leur chaîne alimentaire va être polluée du début à la fin. En ce qui concerne la terre ferme, c'est naturellement les animaux vivant sur les côtes qui vont souffrir. Les zones où vivent les colonies de crevettes sauvages, de crabes et d'huîtres sont particulièrement vulnérables.» (5) Quelles conséquences écologiques? La National Oceanic and Atmospheric Administration (Noaa) des Etats-Unis a indiqué que les oiseaux et les mammifères pourraient échapper plus facilement à un incendie qu'à une nappe de pétrole, quand bien même les panaches de fumée pourraient les désorienter. Or, l'écosystème côtier est notamment riche en oiseaux (hérons, pélicans bruns...), en mammifères (dauphins, cachalots...) en poissons (requins, espadons, mérous...) et crustacés (40% des fruits de mer consommés aux Etats-Unis proviennent de Louisiane). Les oiseaux sont particulièrement vulnérables aux marées noires car les hydrocarbures engluent ces animaux qui perdent en outre leur étanchéité. De plus, des milliards d'oeufs et de larves de poisson pourraient être détruits. Des zones humides, des réserves naturelles et des sites de nidification de la Louisiane, du Mississippi, d'Alabama et de Floride sont également menacés.D'ores et déjà, «le milieu marin est certainement affecté», estime Cynthia Sarthou, directrice de l'association de protection de l'environnement Gulf Restoration Network, à La Nouvelle-Orléans. «La fine nappe que l'on observe ne montre que la part de pétrole qui remonte à la surface. On ne sait pas quelle quantité de pétrole reste en suspension dans l'océan et se disperse entre deux eaux, ou se dépose pour toujours sur le fond, deux cas de figure très nocifs pour les espèces marines et les écosystèmes», précise Mme Sarthou dans le journal Le Monde. Une telle situation perdurant pendant des semaines pourrait devenir une catastrophe majeure.»(6) Cette comparaison est lourde de signification: le rédacteur de la revue Terra Economica écrit: «On a comparé la similitude de l'accident de Tchernobyl avec la marée noire du golfe du Mexique. Le feu, le manque de réactivité des autorités, l'ampleur du désastre écologique: la marée noire actuelle aux Etats-Unis et l'accident de la centrale nucléaire ukrainienne en 1986 partagent de nombreux points communs...Déployer un dôme pour contenir le pétrole qui continue de s'échapper du puits: voilà l'une des solutions actuellement retenues par le groupe BP pour faire face à la catastrophe en cours dans le golfe du Mexique. L'image de ce dôme n'est pas sans rappeler Tchernobyl et son sarcophage, encore dans toutes les têtes. Et si la marée noire qui menace la Louisiane devenait le Tchernobyl des mers? Les points de similitude entre les scénarios des deux catastrophes ne manquent pas. D'abord, l'explosion, puis l'incendie qu'on ne contrôle plus. Ensuite, les systèmes de sécurité qui se révèlent insuffisants, les fuites dont on ne mesure pas immédiatement l'importance, le flottement des premiers jours de la part des autorités, les moyens dérisoires d'abord mobilisés et cette terrible impression que personne n'était préparé à une telle situation.... Ces 800.000 litres qui remontent à la surface chaque jour rappellent la colonne de gaz en fusion qui s'élevait à plus de 1000mètres au-dessus du réacteur éventré en Ukraine. Ce sera une catastrophe écologique nationale pour les Etats-Unis, mais les pays riverains devraient demeurer relativement épargnés. Ensuite, parce ce sont surtout la faune et la flore, et les activités humaines qui y sont liées, qui vont faire les frais de la catastrophe pétrolière. Ces catastrophes vont-elles nous éclairer sur les choix à faire pour demain et les générations futures? Le pétrole va-t-il enfin être remis en cause, dans un pays où il est roi? Et Obama s'engagera-t-il radicalement sur la voie des énergies renouvelables, comme l'espèrent de nombreux écologistes? (7) Que faut il en conclure devant la cupidité de cette multinationale qui s'est mis dans le courant écologique en changeant son sigle de British Petroleum en Beyond Pétroleum (au-delà du pétrole)!! Il faut savoir que BP écrivait pourtant dans un document daté de février 2009 présentant le puits Deepwater Horizon et déposé au Service fédéral de la gestion des ressources minérales (MMS), qu'il était «improbable qu'un déversement accidentel de pétrole en surface ou dans le sous-sol se produise du fait des activités proposées». Et si cela devait néanmoins arriver, poursuit le groupe, «étant donné la distance au littoral et les capacités de réaction qui seraient mises en oeuvre, aucun impact négatif significatif n'est attendu». Pour comble de cupidité, elle soudoie les pécheurs. «La BP a proposé aux pêcheurs locaux de travailler pour elle et de participer au nettoyage de la nappe de pétrole gigantesque qui s'annonce sur les côtes américaines. (...) Mais le scandale vient d'une décision de la BP qui aurait imposé aux pêcheurs, en échange de cette offre de signer, une sorte de «décharge» dans laquelle ils s'engagent à ne pas entamer de poursuites judiciaires ultérieurement contre la BP, ses filiales, ses agences, ses directeurs, son personnel et employés réguliers, ses sous-traitants...» (8) Décidément, l'ébriété énergétique et l'addiction au tout-pétrole dans les pays industrialisés est le plus sûr allié des multinationales du pétrole. Leur «conversion» à l'écologie, a fait illusion un temps. On s'aperçoit que c'est un leurre et que même l'écologie, version money- théisme, est un marché. Ainsi va le monde. 1. Rédaction. Pollution dramatique dans le golfe du Mexique Enviro2B 29/04/10 2. Rédaction le 3/05/10 Marée noire: Obama ne lâchera pas BP. Enviro2B - 3. http://www.terra-economica.info/Maree-noire-du-Golfe-du-Mexique-le,10041 Anne Senges Terra Eco 4. Le souvenir de l'Erika. polmar@manon. org le 12/04/2010 5. David Naulin. Les conséquences écologiques de la marée noire cd durable 30 avril 2010 6. Christophe Magdelaine. Les Etats-Unis craignent l'une des pires marées noires de leur histoire. notre planet.info 29/04/2010 7. Golfe du Mexique: un Tchernobyl des mers? Terra economica 4. 05. 2010 8. La BP pousse le cynisme à l'écoeurement www.oulala.net/Portail/spip. php?article4552 3 mai 2010