Le monde est bien loin de la guerre froide. Celle-ci est dépassée, mais doit-on en dire autant pour le risque de guerre ? Très peu oseront franchir le pas tant les sourires sont crispés, et, en tout état de cause, n'arrivent pas à dissimuler les divergences souvent graves. Il est vrai que l'ancien président russe, Vladimir Poutine, avait laissé entendre que son pays pourrait adhérer un jour à l'OTAN, mais cela ressemble à une plaisanterie, et les Russes ne donnent pas l'impression de plaisanter en dénonçant l'extension des limites géographiques de l'Alliance atlantique, ou encore des projets d'installation stratégiques que développent les Etats-unis avec certains pays européens. Poutine avait dit ce qu'il pensait de ces plans, et son successeur s'inscrit dans cette ligne. En effet, le président russe, Dmitri Medvedev, va demander à son homologue américain George W. Bush de traduire ses promesses en actes sur le bouclier antimissile américain afin de rassurer Moscou. M. Medvedev abordera, également, la question du traité de réduction du nombre des armes stratégiques (START) sur lequel la Russie espère avancer avant le départ de M. Bush de la Maison-Blanche en janvier 2009, a ajouté le conseiller, Sergueï Prikhodko. « En ce qui concerne le bouclier antimissile, nos positions continuent à diverger », a déclaré M. Prikhodko à la veille de la rencontre qui se tiendra en marge du sommet du G8 à Toyako, sur l'île de Hokkaido au Japon. Au sommet russo-américain de Sotchi (Russie) en avril dernier, M. Bush « a entendu nos inquiétudes, a reconnu qu'elles étaient fondées et a promis de prendre des mesures pour les apaiser », a déclaré M. Prikhoko. « Malheureusement, au niveau exécutif, son signal s'est évanoui », a-t-il ajouté. « Nous espérons que la rencontre de Toyako donnera une impulsion supplémentaire aux négociateurs américains, afin qu'ils s'activent pour prendre réellement en compte nos inquiétudes », a-t-il encore dit. Les Russes sont opposés au déploiement d'éléments de ce bouclier en Pologne et en République tchèque, estimant que cela menace leur propre stratégie de dissuasion nucléaire. Pour tenter d'apaiser ces inquiétudes, Washington a offert à Moscou la possibilité d'exercer un contrôle sur ces sites et de coopérer sur la défense antimissiles en général, sans grandes avancées jusqu'ici. Sur le traité START, « rien ne bouge », a déclaré M. Prikhodko. « La Russie se voit offrir, comme avant, des propositions vides sous la forme de mesures de transparence, qui excluent le contrôle sur les missiles stratégiques et plusieurs autres composants du START », a-t-il signalé. Il a exprimé l'espoir, toutefois, que « la situation pourrait être débloquée avant la fin du mandat de George W. Bush à la Maison-Blanche afin d'aboutir à une compréhension mutuelle d'ici à la fin de l'année ». Le traité START, qui limite l'arsenal militaire nucléaire des deux pays notamment le nombre des missiles intercontinentaux expire fin 2009. La Russie souhaite un nouveau pacte contraignant pour lui succéder, là où Washington se contenterait d'un accord moins formel. M. Medvedev abordera, également, la question des armes conventionnelles en Europe, alors que Moscou a cessé d'appliquer le traité de réduction de ces armements dit FCE, ainsi que le projet d'extension de l'Otan à la Géorgie et l'Ukraine, aux portes de la Russie, qui exaspère Moscou. Respectant à la lettre son calendrier, la secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, se rendra en République tchèque la semaine prochaine, pour signer l'accord en question. Des responsables américains n'ont pas exclu que Mme Rice fasse aussi une étape en Pologne pour, éventuellement, parapher un accord similaire toujours en négociation, aux termes duquel dix intercepteurs de missiles seraient déployés sur le sol polonais pour compléter le radar devant être installé en République tchèque. Selon des experts, si ces accords avec les pays d'Europe centrale se concrétisent, Washington peut s'attendre à encore moins de coopération de la part de Moscou sur des dossiers chauds, comme celui du nucléaire iranien. « La bonne volonté russe d'aider, quand les Etats-Unis auront besoin de Moscou, va encore descendre de quelques crans », prédit Anatol Lievin, professeur au King's College London et consultant à la New America Foundation, un centre de recherche à Washington. Ce projet de déploiement du radar américain sur le territoire tchèque avait été avalisé par l'Otan lors de son sommet en avril, à Bucarest. Mais l'opinion publique en République tchèque et en Pologne est en majorité opposée à ce système de défense. Jugeant « insuffisantes » les réponses américaines à ses préoccupations sur sa propre sécurité, la Pologne a réclamé, vendredi dernier, en contrepartie de son accord, la présence permanente sur son sol de systèmes de défense anti-aérienne de type Patriot. Les Etats-Unis avaient dit, précédemment, qu'en cas d'échec des tractations avec Varsovie, la Lituanie pourrait éventuellement être une alternative pour y installer la batterie antimissile. Dans un récent éditorial, le Washington Post estimait que ce dossier devrait être pris en charge par le prochain président américain, qui sera élu en novembre. Selon le quotidien, l'administration Bush « précipite la conclusion d'accords prématurés et coûteux » avec les Tchèques et les Polonais, tout en reconnaissant que ce système antimissile pourrait être utile. Il n'est pas question de retour à la guerre froide, mais les rapports entre les grandes puissances, essentiellement, reproduisent, en tout cas, du moins le climat de large suspicion.