Le tribunal de Annaba a renvoyé, dimanche dernier, le procès intenté contre le journaliste Noureddine Boucraâ au 13 juillet. Le journaliste comparaissait avec l'ex-directeur des renseignements généraux de la Sûreté nationale à Annaba (détenu depuis juin 2006 et condamné à 3 ans de prison ferme en novembre 2007) pour « divulgation du secret de l'instruction, utilisation de documents classés confidentiels, atteinte à l'honorabilité d'un corps constitué et enfin pour diffamation », à la suite d'une plainte déposée par le chef de la sécurité publique de Annaba, Draï Messaoud. C'est à la suite d'un article paru le 12 novembre 2007 dans le quotidien Ennahar, faisant état d'informations d'une grande gravité qui mettaient en cause des officiers supérieurs de la Sûreté nationale. L'article était basé en grande partie sur une documentation comprenant des photos fournies par un ex-patron des renseignements généraux (RG), le divisionnaire Benhamed Samir, dont le procès était programmé pour le jour même. Preuves à l'appui, le journaliste n'a fait que reprendre le lourd dossier documenté établi par l'ancien responsable des RG, sur des pratiques mafieuses dans lesquelles seraient impliqués des gradés de la Sûreté nationale en poste à Annaba. Révélations qui ont valu à Benhamed une incarcération de plus d'une année, suivie d'une condamnation à 3 ans de prison ferme, le 12 novembre 2007. Cinq jours après cette sentence, les policiers se sont dirigés au domicile du journaliste Noureddine Boukraâ pour le mettre en détention durant toute la nuit du 17 novembre. Le lendemain, une escouade composée de pas moins de 8 agents de la police judiciaire procèdent à une perquisition dans son domicile, à la recherche de documents. N'ayant rien trouvé, ils ont contraint Boucraâ à restituer le dossier sur lequel il a basé son article, arguant les besoins de l'enquête. Présenté au parquet, il sera placé sous contrôle judiciaire par le juge d'instruction, échappant ainsi à la mise sous mandat de dépôt requise par le procureur. Pendant des mois, le journaliste va subir l'enfer, avec des menaces de mort et de liquidation physique proférées par téléphone et même par courrier envoyé chez lui. De son côté, l'ancien directeur des RG, et du fond de sa cellule, va saisir toutes les institutions de l'Etat pour dénoncer ce qu'il a qualifié de « complot » contre sa personne. Sa dernière lettre (dont une copie a été adressée à la rédaction) a été envoyée au président de la République. Dans ce courrier, Benhamed Samir fait état de graves révélations et accuse l'ex-adjoint du chef de sûreté de wilaya de Annaba (promu chef de sûreté de wilaya d'El Tarf) et gendre de l'actuel chef d'état-major de l'ANP d'être derrière la cabale montée contre lui. « L'adjoint-chef de sûreté de wilaya de Annaba, gendre du chef d'état-major, avec la complicité de son frère, brigadier de police et chef de la sûreté de wilaya, utilisent le nom du général-major pour intimider les citoyens et les cadres de la police et même les industriels à Annaba ou El Tarf, sans qu'il soit au courant, à des fins personnelles. Le plus dur à admettre est la rapidité d'exécution et les conditions de suspension de fonction décidées en haut lieu par télex envoyé d'Alger le jeudi 11 mai 2006 et les contraintes de signature du procès-verbal de notification le jour même à 18h30 à mon domicile, avec interdiction d'accès à mon bureau. Comment et pourquoi le directeur national des RG a-t-il ordonné cette suspension, sans demander d'explication ni commission d'enquête ? Que dois-je en conclure ? », a écrit l'ancien divisionnaire. Pour ce dernier, cette sanction a été décidée pour l'éloigner de la sûreté de wilaya lors de la venue d'une inspection dépêchée d'Alger par le DGSN en personne, à la suite d'une lettre d'un industriel de Annaba accusant le chef de sûreté de wilaya de « dépassement et d'abus d'autorité » à son encontre, mais aussi « contre des citoyens et des cadres de la sûreté en désaccord avec lui ». Benhamed fait état d'une « purge » dans les rangs de la sûreté de wilaya de Annaba qui aurait touché les éventuels témoins à charge. « Toutes les enquêtes effectuées par mes soins sur le blanchiment d'argent, abus d'autorité, détournement et autres affaires scabreuses ont été envoyées à la PJ pour suite à donner. Beaucoup de citoyens et cadres honnêtes de Annaba m'ont apporté leur aide dans mon combat contre les différents fléaux connus, mais qui auparavant n'ont jamais fait surface parce que les commanditaires achetaient le silence de certains responsables qui acceptaient les cadeaux, devises, meubles, vêtements et autres articles électroménagers (...) En retour, j'ai reçu un questionnaire en lieu et place de félicitations méritées et l'injonction de saisir d'abord par téléphone le directeur des RG au niveau national, avant de traiter des dossiers importants. Autrement dit, attendre son feu vert pour ouvrir une information sur un dépassement ou un détournement quelconque. Une telle façon d'agir émanant d'un responsable n'est-elle pas bizarre ? » L'auteur a tenu à préciser que les deux enquêtes menées par le CTRI d'El Tarf et le département du renseignement militaire (DRS) de Constantine « ont confirmé l'existence d'un complot à son encontre pour avoir fait honnêtement son travail, sans tenir compte du grade ou du lien de parenté des personnes en faute, lesquelles ont usé de leur pouvoir et de leurs connaissances ou parents pour le faire taire et le briser définitivements. Ce courrier a été transmis après que les demandes d'enquêtes sur ces affaires aient été adressées à la direction générale de la Sûreté nationale et aux ministères de l'Intérieur et de la Défense nationale. Pour beaucoup, le procès du journaliste et de cet ancien divisionnaire, prévu demain, s'annonce très riche en révélations.