La tradition du café d'El Djezoua, en référence à l'ustensile avec lequel on prépare cette boisson, est restée ancrée durant des décennies sur la place constantinoise, avant de se perdre à la faveur des changements imposés par la modernité. « Avant l'indépendance, une bonne vingtaine de cafés maures sur la soixantaine que comptait la ville servaient encore le fameux café d'El Djezoua et ne désemplissaient pas de la journée, mais après, l'avènement des cafés modernes a complètement bouleversé les choses », regrette un gérant de café qui se rappelle encore ces célèbres qaâdate dans les vieux cafés, appelées aussi tarbiâte (pluriel de tarbiaâ), (s'asseoir en tailleur), garnies de bancs et de smarate, sorte de tapis traditionnel confectionné avec de l'alfa, où le client peut déguster un café préparé traditionnellement sur la braise dans un ustensile appelé El Djezoua dans une sorte de réservation en briques, par rais El Oudjak, patron des lieux. « Contrairement à ce qu'on pouvait croire, le café moulu, soigneusement conservé, est préparé d'une manière très professionnelle, car le chef doit le servir selon le goût de ses clients », nous dira un vieil amateur de ce genre de boisson, que certains préfèrent consommer plus ou moins corsée. « On pouvait même avoir droit à un café tellement corsé que le cafard peut même marcher à sa surface », rappelle un autre, comme pour évoquer une anecdote, citée par ceux qui aiment boire encore ce genre de café. Les souvenirs des cafés d'antan continuent toujours d'être cultivés par les nostalgiques. Aujourd'hui, il ne reste plus grand-chose de ce patrimoine de la ville, même si certains gérants de ces lieux essaient de sauvegarder leur vocation première, lieux de rencontres conviviales qui réunissent toutes les corporations et les couches de la société. « La majorité de ces cafés de la Vieille ville a complètement disparu, alors que certains ont laissé place à des magasins pour meubles, des bazars ou des boucheries », nous dira Sid Ali Bouaziz, membre de l'association des Amis du musée, qui nous rappelle aussi certains lieux à valeur symbolique pour les anciens habitants de Souika. On citera surtout le café d'El Hafsi dans l'ex-rue Viviani (aujourd'hui Zaâbane) qui a disparu, alors qu'en face, celui des Chouafnia (en référence aux chiffonniers qui le fréquentaient) était aussi célèbre pour avoir abrité les réunions des moudjahidine durant la guerre de libération. On raconte même que la police française y avait découvert une cache d'armes à l'époque. Les souvenirs des cafés de Ould Bouya, dans l'ex-rue Perrégaux (actuel Mellah Slimane), celui de Belattar, dans le quartier de Chatt ou encore celui de Boulsane, à la place d'El Batha, restent toujours vivaces. Seul le café Boutmeyra, près du quartier de Zelaïqa, semble avoir survécu pour devenir un café banal, alors que d'autres ont soit fermé ou changé d'activité. On citera les cafés de Saïfi à Zenqet Lamamra, celui de Bouaârour à l'ex-rue Casanova, celui de Boucherit à Rahbet Essouf, Benyamina, dans le vieux quartier d'Arbaïne Cherif. Seul le café de Nedjma, plus connu par El Gofla, en référence au surnom de son premier propriétaire hadj Khodja Laâdjabi, qui l'avait ouvert en 1928, actuellement le plus ancien de la ville, semble pérenniser encore les bonnes traditions d'antan, même si on ne peut plus avoir droit à une bonne tasse de café d'El Djezoua de nos jours.