Les « vrais » Constantinois ne peuvent pas passer par Trik El Djedida (actuelle rue Larbi Ben M'hidi) sans faire une halte au café Nedjma, plus connu par El Gofla, situé à mi-chemin entre Bab El Oued et Bab El Kantra.Où du moins y jeter un coup d'œil, comme par nostalgie. Un nom, un des symboles du patrimoine culturel de la ville, et un lieu qui a sa propre histoire. On ne peut pas imaginer un aussi beau carrefour, ouvert à toutes les artères qui charrient depuis des décennies l'élite de la ville et du pays au point de devenir, comme dirait l'autre, « la petite Sorbonne ». Situé entre la célèbre Médersa, Echatt devenu la rue Saïd Bentchicou, ex-propriétaire de la fameuse fabrique de tabac à chiquer et le quartier Arbaine Chérifs (les Quarante saints), qui abritait l'imprimerie de l'association des Ulémas, appelé aujourd'hui rue Ben Badis, le café Nedjma, qui domine la place Laâdjabi Mohamed Tahar (ex-Molière), renferme entre ses murs et sur sa terrasse des décennies d'histoire. Le lieu, qui était une étable pour les chevaux au début du XXe siècle, fut aménagé en café en 1928 par son premier propriétaire Hadj Khodja Laâdjabi, dit El Gofla, d'où le nom du lieu. Après la mort de ce dernier, en 1954, la gérance du café reviendra à son fils Allaoua, mort en 1984, et au neveu d'El Gofla, Beldjoudi Hadj Medjdoub, décédé le 24 janvier 2005. C'est ce dernier qui, le 1er mai 1950, choisit de donner au lieu le nom de Nedjma – par lequel il sera désormais connu – suite à la réglementation française imposant l'installation des enseignes dans les lieux publics. Jusqu'à nos jours et mis à part des changements de décor, le café conserve toujours son cachet d'antan et n'a jamais cédé aux tentations de la modernité. Il est le plus vieux café de la ville après la disparition du café Benyamina en 1950, selon les anciens de la ville. C'est le seul café de la ville où l'on peut s'offrir encore un barad de thé à siroter avec des amis. Arrêt obligé entre la gare ferroviaire et le centre-ville, le café était la destination préférée des élèves de la Médersa El Kettania, dirigée par l'association des Ulémas au même titre que le cheikh Abdelhamid Benbadis qui ne manquait pas d'y marquer une halte. Pour les élèves, la fameuse sedda était le lieu privilégié pour la révision des cours. Parmi ces derniers, on citera le jeune Mohamed Boukharouba, connu plus tard par Houari Boumediène, mais aussi Rabah Bitat, Mohamed Boudiaf et l'ex-chef de gouvernement Smaïn Hamdani. Parmi les écrivains et les intellectuels, Kateb Yacine, qui ne quittait pas l'illustre poète populaire, homme haut en couleur et non moins philosophe, Mohamed Tahar Benlounissi, et qui s'est tellement inspiré des lieux dans ses œuvres à l'instar de Tahar Ouettar, Malek Bennabi et autres. Le café a connu, durant les années 1930, la naissance du club de football le Mouloudia de Constantine et abrité les rencontres de Khouans de la région de l'Est. Les préparatifs de la chaâbania sont, par excellence, La Mecque des musiciens et adeptes de la confrérie des Aïssaouas. Toutes les figures de proue du malouf constantinois y avaient, à une certaine époque, des rendez-vous quotidiens. Pour les jeunes avides de savoir, c'était un inestimable plaisir de côtoyer les chouyoukh, Maâmar Berrachi, Zouaoui Fergani, Mohamed Bendjelloul, Abdelhamid Belbedjaoui, Brahim Ben Amouchi, Abdelmoumène Bentobbal, Abdelhamid Djezzar dit Bibi et autres. Le café a vu aussi le passage de Abdelkrim Dali, El Hadj M'hamed El Anka, Mahieddine Bachtarzi, Sid Ahmed Serri, Smaïn Henni. Lieu culte et de mémoire collective, et témoin de passage de plusieurs générations, le café risque de devenir un jour une banale gargote. Des associations de la ville militent pour sa sauvegarde pour en faire un lieu protégé du patrimoine constantinois.