La mer ? Non, trop de monde. La montagne ? Non trop loin. Où aller passer quelques heures de villégiature quand on habite la ville et que l'on côtoie ses bruits et ses odeurs en permanence, où trouver un endroit propre, non fréquenté et si possible beau ? Nulle part. De nombreux vacanciers, plutôt que de faire bronzette sur un périmètre toujours plus rétréci de sable, ont préféré écarter les doigts du pied en éventail sur la terre rocheuse d'un barrage. En effet, qui a dit qu'on ne pouvait pas profiter de l'eau topaze d'un barrage ? A Keddara et dans de nombreuses autres communes qui jouxtent le barrage, les estivants ont trouvé la parade : joindre l'utile à l'agréable, c'est-à-dire profiter de l'eau du barrage destinée essentiellement à alimenter Alger, pour les joies de la brasse ou tout simplement faire trempette. Situées dans la wilaya de Boumerdès, le barrage de Keddara, face au djebel Bouzegza, s'étale dans toute sa longueur à travers les monts, enjambant à droite un virage et ouvrir la voie à une autre étendue d'eau. Caressant la roche parsemée d'arbrisseaux, le barrage, dans son côté Keddara, n'est pas fréquenté, bien qu'une route, quelque peu cahoteuse y mène. Des carrières sont installées sur différents sites de la montagne. De gros engins lui grignotent les flancs ou rongent sa base donnant au mont une forme de cornet de glace… savoureusement léchée. Rocheux par endroit avec un blanc grisé, djebel Bouzegza a des parterres végétaux dominés par une série de chênes-lièges sur sa crête. Des tracés sont visibles, mais en disent peu sur l'origine de ces terrassements : sécuritaire, industriel ? Dégarnis sur le sommet, les monts rasés de leurs touffes verdoyantes donnent une impression accidentée et malade. Le barrage de Keddara sur cette partie n'est fréquenté que par des ambulants décidés à exploiter l'eau pour laver leur voiture. Quelques enfants s'adonnent au plaisir de la baignade, se concurrençant pour déterminer lequel reste le plus longtemps la tête dans l'eau. Une eau calme, qu'une légère houle fait clapoter. Quelques arbres morts, sont engloutis dans l'eau ne laissant dépasser que quelques branchages, témoignant d'une topographie tellement différente avant l'arrivée des eaux. D'autres oliviers, tendus au soleil, sont plantés sur l'extrémité du rivage, sauvés de quelques millimètres, mais qu'une année pluvieuse ne saurait épargner de la crue. Des olives vertes et dures s'offrent à la lumière, frêles et désireuses de mûrir. Le travail de la carrière raisonne dans les entrailles du djebel et le bruit de concassage fait croire à des cascades d'eau. Rive droite, rive gauche C'est sur la rive droite, celle du nord, que le barrage connaît une affluence plus importante. En contrebas de la digue, lorsque la campagne fait face à la montagne, l'eau est profonde, topaze et aigue, narine par endroit. Cachée entre des villas de plusieurs étages, une petite route mène au barrage, sur un site envahi d'herbes sauvages et épineuses. Des voitures sont stationnées et quelques familles se retrouvent pour « gaîter » au paysage. Des adolescents et des enfants jouent dans l'eau, laissant derrière eux les bavardages domestiques des femmes de la maison. Leurs brasses au bord du rivage remuent le fond d'où éclate une tache terreuse à la surface. Quelques jeunes s'adossent à leur véhicule, face à l'étendue d'eau, une cigarette au bec, les cheveux plaqués à la James Dean. Même au fin fond de la campagne, perdu entre les aigreurs des routes, les magasins sont mal achalandés en boissons gazeuses, mais n'oublient pas de proposer la gomina. Occupée à converser sur un devenir des plus incertains, la jeunesse, aux véhicules immatriculés 35 ou 16, rêvent de contrées où les étendues d'eau sont des lacs, où la gomina résiste à l'humidité et où leurs désirs ne se retrouvent pas noyés dans les secrets du Keddara.