Jadis port prospère, Aden, grande ville du sud du Yémen, offre à première vue l'image d'une ville tranquille, mais la menace des groupes armés et des jihadistes liés à Al-Qaïda est réelle. Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa) est bien implanté autour de l'ancienne capitale du la République du Yémen du Sud et certains de ses éléments y font leur apparition de nuit, selon de nombreux témoignages. Ils n'hésitent pas à pourchasser les couples non mariés et harcèlent une population déjà accablée par l'insécurité et la menace d'autres groupes armés. Aden est à 30 minutes à peine de Zinjibar, capitale de la province d'Abyane, qui est aux mains de combattants d'Aqpa depuis près d'un an. Aqpa a tenté, selon des responsables américains, de monter un attentat contre un avion à l'occasion du premier anniversaire de la mort du chef d'Al-Qaïda Oussama ben Laden dans une opération américaine au Pakistan. Le kamikaze qui devait faire exploser une bombe à bord de cet avion à destination des Etats-Unis était en fait un agent infiltré au sein d'Aqpa par les services secrets américains ou saoudiens, selon le New York Times de mardi. Le gouverneur d'Aden, Wahid Rachid, admet que des éléments des Partisans de la Charia, liés à Aqpa, ont "infiltré" sa ville mais assure que l'Etat contrôle toujours la cité, ancien port britannique sur la route de l'Inde. Mais les habitants donnent une autre appréciation de la situation. "Dès que vous quittez votre maison, vous vous sentez en danger", témoigne une habitante, Chadia Haidar. "Des jeunes vous menacent dans la rue pour vous extorquer votre argent. Il n'y a plus de sécurité", dit-elle, indiquant que la police ne répond plus aux appels au secours. Chadia Haidar habite le quartier de Moualla où la police ne s'aventure plus ou est accueillie par les tirs d'armes quand elle ose le faire. Des milices locales y ferment les rues avec des blocs de pierre et leur appartenance tout comme leurs objectifs restent indéterminée. "A Moualla, on a de tout, nous avons Al-Qaïda, des criminels et des séparatistes sudistes et ils sont tous armés", indique un journaliste local, Abdallah Charafi. La bannière noire d'Al-Qaïda a flotté sur certains toits avant d'être retirée et les graffitis à la gloire du réseau sont visibles sur les murs. Dans le quartier d'Al-Mansoura, la situation n'est pas meilleure même si le groupe dominant est celui des séparatistes sudistes qui veulent restaurer la république sudiste d'avant la fusion avec le nord en 1990. Ces séparatistes affirment avoir chassé Al-Qaïda du quartier. "L'Etat est absent et on doit se débrouiller tout seuls", se défend Nizar Ahmad, un membre local du mouvement séparatiste en faisant état de "cellules dormantes d'Al-Qaïda" qui distribuent aux jeunes des brochures appelant à l'instauration d'un émirat islamique dans le Sud. Mohammad al-Yazidi, l'un de ses camarades, indique que la police n'a pas mis les pieds dans le quartier depuis près d'un an. Le gouverneur d'Aden estime que la situation dans sa ville ne diffère pas du reste du Yémen et peut être considérée comme normale après un an de contestation violente du régime de l'ancien président Ali Abdallah Saleh."Nous sommes en train de passer d'un régime à un autre, d'une autorité à une autre", en concédant toutefois que ses administrés "ont peur". La criminalité est en hausse et seul le tiers des effectifs de la police est déployé sur le terrain, précise-t-il. Al-Qaïda en profite pour étendre son influence. La situation dans le Sud est la source d'une "crainte réelle à Washington" quant à la capacité d'Al-Qaïda de lancer des attaques contre les Etats-Unis du moment que l'artificier du groupe reste vivant et actif, estime le spécialiste du Moyen-Orient à l'intitut Brookings, Bruce Riedel. Cet artificier, le Saoudien Ibrahim al-Asiri, continue probablement de se cacher comme d'autres chefs d'Al-Qaïda dans le vaste territoire d'implantation du groupe qui s'étend d'Abyane à la province voisine de Chabwa, zone que l'armée yéménite peine à pacifier.