PARIS - Le 17 octobre 1961 restera une date liée à la répression sanglante qui a suivie une manifestation pacifique de milliers d'Algériens sortis dans les rues de Paris pour protester contre le couvre-feu décrété par le préfet de police de l'époque, le sinistre Maurice Papon. Préfet de police de Paris depuis 1957, Maurice Papon, qui a déjà exercé ses talents de tortionnaire à Constantine en tant qu'inspecteur général de l'administration en mission extraordinaire sous la IVe République, a appliqué dans la capitale française, des méthodes depuis longtemps en vigueur en Algérie. Il a décidé, avec l'aval des autorités politiques, d'imposer un couvre-feu aux seuls Algériens, poussant le FLN à organiser plusieurs rassemblements pacifiques en plusieurs endroits de Paris pour protester contre cette mesure raciste. L'appel du FLN a été largement suivi par les Algériens qui étaient près de 30.000 à manifester ce jour-là, selon un très officiel rapport du conseiller d'Etat, D. Mandelkern, achevé en janvier 1998, qui indique que 14.000 personnes sont arrêtées puis détenues au palais des Sports, au parc des Expositions et au stade Courbertin, notamment, transformés en centre de détention. Dans ces lieux, les Algériens sont parqués dans des conditions effroyables, battus et longtemps laissés sans soin, particulièrement ceux qui souffraient de blessures ou de maladies. La barbarie des forces de police a atteint son paroxysme dans la nuit du 17 octobre et dans les prochains jours, au cours desquels une véritable chasse à l'arabe a été menée. Des enquêteurs et des historiens, se basant sur des rapports confidentiels, avancent le chiffre de près de 200 manifestants frappés à mort, tués par balles et noyés dans la Seine après y avoir été jetés par des policiers. Le nombre de disparus est également élevé. Le sort réservé à de dizaines d'Algériens n'est pas connu jusqu'à présent, comme le signale l'historien Jean-Luc Einaudi. Ces massacres ont été prémédités et minutieusement préparés. Selon l'historien Olivier Le cour Grandmaison, dans une note datée du 5 septembre 1961 adressée au directeur du service de coordination des affaires algériennes et directeur de la police municipale, Papon avait ordonné que les manifestants les plus actifs soient "abattus sur place". Pour justifier ces crimes, les policiers avaient avancé l'argument de la légitime défense, du fait des attaques dont ils auraient les cibles. Or, les forces de police n'ont essuyé aucun coup de feu, contrairement aux rumeurs colportées pour justifier le massacre au moment même où il se déroulait. Les historiens et les chercheurs qui se sont penchés sur ces tragiques événements sont unanimes à considérer qu'au regard du contexte de l'époque et de ses missions, Papon n'a pu agir sans l'aval de son supérieur hiérarchique, le ministre de l'Intérieur, Roger Frey qui deviendra plus tard président du Conseil constitutionnel. "Qui peut croire, enfin, que le Premier ministre, Michel Debré, n'ait pas été informé de cette mesure et du massacre perpétré en ces jours d'octobre 1961", s'est interrogé, dans un texte publié il y a plus de deux années, Olivier Le cour Grandmaison, estimant que "c'est donc en recourant à ce type de moyens que la toute jeune Cinquième République a organisé une répression sanglante" et "couvert des policiers après qu'ils eurent exécuté sommairement des personnes, organisé de nombreuses disparitions, pratiqué la torture dans la capitale et commis des actes inhumains pour des motifs politiques et raciaux". 48 années après ces massacres, de nombreuses ONG, associations et formations politiques ne cessent de réitérer leurs revendications dont la reconnaissance officielle de ces crimes d'Etat. La tâche est loin d'être aisée au moment où certains courants politiques et voix continuent à s'élever en France pour louer "les bienfaits de la colonisation" ou rendre les honneurs à des criminels de guerre.