La baisse du dollar place les pays producteurs de pétrole devant un dilemme : ils voient leurs revenus s'effriter, mais une remontée du prix du baril, souhaitée par plusieurs membres de l'Opep, est hypothétique et pourrait menacer la reprise de l'économie mondiale, préviennent des analystes. Les cours du brut, qui ont dépassé les 80 dollars ces derniers jours, n'ont pas déclenché l'euphorie des douze Etats membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), réunie jeudi à Vienne et qui a décidé de maintenir ses quotas de production inchangés. L'évolution du prix du baril, libellé en dollar, est principalement liée à la baisse du billet vert, alimentée par des spéculations croissantes sur de prochaines mesures de la Réserve fédérale américaine (Fed) pour soutenir la première économie du monde, analysent de nombreux observateurs. Et la dépréciation du dollar a annulé les gains de cette hausse des cours pour les pays producteurs. Pis, le prix du pétrole entraînant d'autres matières premières dans son sillage, dont les denrées alimentaires, "notre revenu réel se détériore", s'est plaint le chef de la délégation libyenne à l'Opep, Choukri Ghanem. La devise américaine est retombée face à l'euro à son plus bas depuis huit mois. A ce titre, la Libye, avec les deux autres membres "durs" de l'organisation, l'Algérie et le Vénézuéla, est favorable à un baril entre 90 et 100 dollars. Mais c'est à ce niveau que les problèmes peuvent commencer. "Un prix du brut au-dessus de 90 dollars pourrait menacer la reprise mondiale à un moment où l'économie américaine ralentit déjà et où la Réserve fédérale est prête à injecter des liquidités", avertit Neil MacKinnon, économiste chez VTB Capital. Or une nouvelle récession serait un désastre, abonde David Hufton de PVM Oil Associates, qui souligne que le prix de l'or noir pourrait dévisser "de manière crédible à 50 dollar le baril face à l'importance des stocks accumulés". Deuxième difficulté, les prix du pétrole, devenu produit de prédilection de certains spéculateurs sur les marchés financiers, est de moins en moins contrôlable par le jeu traditionnel de l'offre et la demande. "Le pouvoir de l'Opep est limité", en conclut Carsten Fritsch de la Commerzbank, le jeu sur les niveaux de production étant la principale arme du cartel de douze membres, qui pompe près de 40% du brut mondial. Le secrétaire général de l'Opep, Abdallah Salem el-Badri, reconnaît aussi une certaine impuissance: "Quand le baril a atteint 147 dollars (à l'été 2008, ndlr), nous étions inquiets. Nous savions à ce moment-là que même une hausse de la production n'aurait pas calmé les marchés". "Le patron de la Fed Ben Bernanke a eu plus d'impact sur les prix que l'Opep en une décennie", ironise ainsi Phil Flynn, analyste chez PFG Best. Incertains quant à la valeur de la monnaie américaine, les investisseurs sont en effet poussés vers des actifs tangibles, comme le pétrole, ce qui fait monter les prix. Dans cette situation, "certains ont proposé d'abandonner le dollar en tant que monnaie de référence" sur le marché pétrolier, a affirmé après la réunion du cartel à Vienne le ministre vénézuélien Rafael Ramirez. Mais même un tel changement n'ôterait pas tout risque. Il suffirait que la devise choisie pour remplacer le dollar perde à son tour de la valeur pour que les producteurs fassent à nouveau grise mine. Dans l'immédiat, le pétrole pourrait revenir dans la fourchette de 70 à 80 dans laquelle l'or noir a évolué depuis an, et réduire le revenu des producteurs un peu plus. "Cette fourchette correspond à des fondamentaux du marché actuel", insiste Johannes Benigni directeur du cabinet JBC Energy.