PARIS- La France et les ressortissants français sont plus que jamais menacés au Sahel par des jihadistes affiliés à Al-Qaïda ou des gangsters prêts à monter d'audacieux enlèvements et à revendre leurs captifs, estiment des analystes, après le rapt et la mort de deux Français au Niger. Al-Qaïda au maghreb islamique (Aqmi) n'a pas formellement été désignée par les autorités françaises comme responsable de l'enlèvement des deux jeunes hommes, kidnappés vendredi soir par des hommes armés dans un restaurant de Niamey, mais les soupçons convergent vers elle: le président Nicolas Sarkozy a condamné la "barbarie terroriste", tandis que l'armée français a évoqué une "exécution" des otages par des ravisseurs qualifiés de "terroristes". Les deux jeunes gens ont péri au cours d'une opération militaire franco-nigérienne destinée à les libérer alors que les ravisseurs tentaient de gagner la frontière malienne. Cette tentative de rapt intervient plus de trois mois après l'enlèvement, revendiqué par Aqmi, de cinq Français (ainsi que d'un Togolais et d'un Malgache) travaillant pour la plupart pour le groupe nucléaire français Areva et un sous-traitant du groupe de construction Vinci dans le nord du Niger. Pour Dominique Thomas, spécialiste des mouvements jihadistes à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris, "si c'est vraiment un coup d'Aqmi, et même s'il s'agit d'une sous-traitance auprès de brigands locaux, l'objectif est de dire à Paris: +Vos ressortissants ne sont plus en sécurité nulle part". "Cela rentre dans le cadre de la guerre psychologique entamée avec la France", ajoute-t-il. "Le but est de déstabiliser encore davantage la situation, de prouver que dans tout le Sahel, même dans les capitales jusqu'ici sûre, ils peuvent frapper. Pourquoi pas Ouagadougou, maintenant, pourquoi pas le Tchad, le Nigeria ? Même si le rapt a échoué, les deux gars sont morts, et ils savent que l'impact international sera très fort". "Cela met Paris dans une position encore plus inconfortable, cela complique encore davantage d'éventuelles négociations sur le sort des otages de septembre: le but est atteint", juge-t-il. Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences-Po Paris et auteur notamment des "Neuf vies d'Al-Qaïda" estime, quant à lui, qu'il "est désormais certain qu'Aqmi a fait passer le message à ses multiples partenaires criminels qu'elle était disposée à payer un très bon prix la capture de ressortissants français qui lui seraient transférés dans un second temps". "C'est sans doute ce qui s'est passé à Niamey et les otages étaient alors en route vers un campement d'Aqmi, avant une revendication probable dans le courant de la semaine prochaine", ajoute-t-il. "Du point de vue d'Aqmi, la posture est claire: pas de négociation, mais une épreuve de force de longue durée, avec accentuation de la pression médiatique, en misant à terme sur une intervention directe de "l'ennemi lointain" (français) sur le territoire de "l'ennemi proche" (les gouvernements des pays sahéliens), ainsi déstabilisé", explique l'expert. "Le piège est tendu, et d'autres prises d'otages pourraient le rendre encore plus périlleux". De nombreux experts estiment qu'en s'en prenant ainsi directement à la France, dans le Sahel à défaut du territoire français, Aqmi parachève son ralliement au jihad global, prôné par Oussama ben Laden depuis sa cachette dans la zone frontalière pakistano-afghane. Aqmi, mouvement jihadiste d'origine algérienne, met Paris dans une position difficile en avançant des exigences quasiment impossibles à satisfaire. Pour la libération des otages qu'ils détiennent depuis septembre, les chefs d'Aqmi demandent le retrait de l'armée française d'Afghanistan et renvoient au chef d'Al-Qaïda lui-même pour négocier le sort des otages du désert.