Un seul mot, un seul regard peuvent générer une bagarre où tous les coups sont permis. Ces accrochages sont également signalés entre les jeunes des habitations limitrophes et les scolarisés. « C'est une situation que nous vivons au quotidien. A midi, des jeunes non scolarisés arrivent en bande et attaquent des lycéens, principalement les garçons. Les surveillants ne bougent pas le moindre doigt pour mettre un terme à cela, estimant que c'est en dehors des frontières de l'établissement », raconte une élève du lycée El Djorf (académie de l'Est). Abondant dans le même sens, une lycéenne incrimine les jeunes ayant « des contacts avec les sacripants des cités avoisinantes et au moindre conflit, ils règlent leurs problèmes devant l'établissement », témoigne-t-elle. Elle évoquera également cette bagarre ayant éclaté entre deux filles de troisième année secondaire, à cause « d'un racontar sur la tenue vestimentaire et le physique de l'une d'elle ». Situation similaire auprès des collégiens qui sont sujets à des rackets, insultes et menaces verbales des plus âgés. « La bagarre, qui débute souvent en classe ou en récréation, a pour origine une fille ou parce que lors de l'interrogation écrite, on n'a pas voulu montrer les réponses », témoigne un collégien de 13 ans. Cette violence est également exprimée envers le corps professoral. Un événement tout récent a ébranlé les élèves. « Lors du cours de langue française, un élève qui chahutait au moment où le professeur expliquait la leçon, n'a pas apprécié la remarque qui lui a été faite pour se taire. Il a osé malmener l'enseignant en l'agrippant par son tablier au point de le faire basculer », témoigne notre jeune interlocuteur. Cet incident n'est pas le premier dans cet établissement de la commune de Bab Ezzouar. Côté enseignants, le facteur déterminant de cette violence à l'intérieur et devant les structures éducatives est « la surcharge et le surnombre des inscrits dans ces institutions. Au moment de la récréation, c'est une marée humaine. Pas un lieu ne reste inoccupé. Dans de telles conditions, les frictions sont courantes ». D'autres enseignants n'excluent pas l'attitude négative de leurs jeunes collègues. « Nous sommes en face d'adolescents avec qui il faut savoir parler, éviter les propos humiliants, garder ses limites et ne jamais inférioriser une personne en présence d'une autre. La réaction ne se fait pas attendre », explique un enseignant du CEM les Frères Meddour (Alger est). Dans certains établissements où les auxiliaires de l'éducation sont arrivés à instaurer des rapports de confiance et de respect mutuel, ce genre d'incidents se fait rare. « Si un différend éclate entre deux élèves, par respect aux auxiliaires qui nous traitent bien, les deux protagonistes s'expliquent entre eux seuls, à l'extérieur sans pour autant que d'autres personnes s'immiscent », souligne un lycéen de Mohamed Boudiaf (Dar El Beida). SOCIOLOGUES ET PSYCHOLOGUES EXPLIQUENT LE PHENOMÈNE Lors du colloque international sur la jeunesse et la violence dans le milieu scolaire dans les pays du Maghreb, tenu le 17 décembre 2011 à Alger, Latifa Remki, directrice des activités culturelles et sportives et de l'action sociale au ministère de l'Education nationale, a souligné que « plus de 40 000 cas de violence entre les élèves tous niveaux confondus ont été recensés en 2010 et 6 099 cas de violence à l'égard du personnel enseignant et administratif, 4 129 autres cas du personnel enseignant et administratif contre des élèves, 4 129 à l'égard des élèves et 745 actes de violence commis par des personnels enseignant et administratif entre eux, ont été enregistrés durant l'année scolaire 2009/2010, à travers le territoire national ». Ces chiffres font ressortir que la violence en milieu scolaire est un fait réel, mais dans des proportions restreintes. L'élève est parfois victime, parfois auteur de faits de violence et l'adulte (enseignant ou agent administratif) peut, lui aussi, se retrouver dans la situation de victime. Des sociologues, qui se sont penchés sur ce phénomène, estiment que « la précarité sociale, l'existence de bandes rivales dans des zones d'habitation, un emploi du temps surchargé qui n'accorde pas de temps aux loisirs, engendrent un stress destructeur ». Ce dernier est manifesté par une violence verbale ou physique. La Fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche (Forem) par le biais de son président, Pr Mustapha Khiati, estime que c'est une « violence intériorisée et donc reproduite ». Pour M. Khiati, la Fondation « a tiré la sonnette d'alarme lors des événements de Bentalha, en appelant à la prise en charge urgente de ces enfants, qui sont maintenant les jeunes d'aujourd'hui ». Certes, des résultats probants ont été obtenus par l'équipe des psychologues et médecins, mais combien sont-ils ceux n'ayant pas répondu positivement au traitement ou n'ayant pas pu être inscrits dans ce programme ? Pour la psychologue, Dj. Hamadi du Centre de prévention de Mohammedia : « On donne de moins en moins de temps à l'éducation des enfants qui deviennent de nos jours une surcharge pour les parents, dès lors que l'enfant ou l'adolescent moins contrôlé et de plus en plus ignoré, est incapable d'avoir des repères. De ce fait, en se repliant sur soi-même, l'enfant opte pour la violence et fait de cette voie une manière de prouver son existence. Cette situation est accentuée par l'absence de dialogue au sein de la famille et entre l'enseignant et son élève », explique-t-elle. LA VIOLENCE DES MINEURS, UN FAIT SAILLANT Selon un bilan de la Gendarmerie nationale, 33 551 mineurs sont auteurs et victimes de plusieurs infractions entre 1998 et 2003. Le même bilan démontre que le nombre de mineurs victimes est de 45% (15 160), presque égal au nombre de mineurs auteurs 55% (18 391). Alors que le bilan sécuritaire du premier semestre 2010 enregistre l'implication de 4 800 délinquants mineurs, dont 167 filles, dans 3 393 affaires de vol, de viol, de dégradation de biens, de violence sur ascendants et coups et blessures volontaires entraînant la mort. La ville d'Alger enregistre le plus grand nombre de cas (589), suivie de Sétif 227, puis Annaba avec 221. Partant de ces chiffres, il est clair que la situation de ces adolescents soit inquiétante et que l'Algérie est devant un nouveau fléau qui menace l'ensemble de la société. Cela a incité les pouvoirs publics à installer un comité national de lutte contre la violence en milieu scolaire.