« Ni laïque ni scientifique, la Tunisie est un Etat islamique », « Pas de Constitution sans la charia », « L'Islam est notre religion, le Coran notre Constitution », « Non à la démocratie » ou « Le peuple veut un califat », tels sont les slogans en vogue en Tunisie « post-révolution du Jasmin ». Dans certaines manifestations, les salafistes, pour s'affirmer sur la scène, brandissent leurs étendards noirs. Comme vendredi dernier devant le siège de l'Assemblée constituante. A Tunis, comme au Caire ou à Tripoli, on exige des pouvoirs en place qu'ils consacrent la charia, clairement et directement, comme unique source de législation. Les islamistes, qui n'ont pas joué un rôle majeur lors du soulèvement qui a chassé Ben Ali du pouvoir-les mots d'ordre étaient liberté, dignité et travail- sont aux commandes en Tunisie. Depuis, le rôle de la religion polarise les débats politiques. Les islamistes, toutes tendances confondues, ceux-là mêmes qui ont protesté la diffusion par Nessma TV du film d'animation franco-iranien « Persépolis » et attaqué un cinéma projetant « Ni Dieu ni Maître », un film d'une cinéaste laïque, Nadia al Fani, veulent que la nouvelle Constitution cite la charia comme source principale de législation. Les partisans de la laïcité s'y opposent. Des députés, y compris ceux du Congrès pour la République et Ettakatol, les alliés d'Ennahda au pouvoir, promettent de quitter l'Assemblée si la charia est retenue. Ils demandent à Ennahda, qui détient les rênes du gouvernement, de se contenter de stipuler que « l'Islam est la religion de l'Etat tunisien » et de ne plus se cacher derrière le « Front des associations islamiques » (112 associations) pour mettre en œuvre sa feuille de route : islamisation de la vie politique, sociale et culturelle du pays. Y compris en forçant des imams à quitter leurs postes pour ses militants plus « compétents » et « connaisseurs de la charia ». « Ennahda peut se référer à la charia dans son programme, dans son discours et dans ses analyses mais pas dans la Constitution qui doit traduire les revendications de tous les Tunisiens », explique Mohamed Bennour, un porte-parole d'Ettakatol. « Ennahda est un spectre : au sein du parti, il y a une extrême droite qui, de temps en temps, parle de charia. Alors nous intervenons et on leur dit : pas question », déclarait récemment le président tunisien Moncef Marzouki au quotidien Le Monde. Plusieurs mouvements plaident pour une Constitution qui « consacre l'Etat civil et instaure un régime républicain, fondé sur la démocratie, l'alternance pacifique au pouvoir, la souveraineté effective du peuple et le principe de citoyenneté ». Certains Tunisiens expriment ouvertement leurs craintes de voir l'introduction de la charia ouvrir la voie « à d'innombrables interprétations ». Les plus « politisés » tirent la sonnette d'alarme. Ali Larayedh, le ministre de l'Intérieur, n'hésite pas à affirmer que les derniers incidents de Bir Ali Ben Khalifa cachent le projet d'un émirat islamique en Tunisie. L'écrivain El Hachemi Taroudi accuse le parti de Ghannouchi, qui s'était engagé durant la campagne électorale à ne pas toucher au statut des femmes, avant de se raviser, de complicité avec les salafistes qui promettent de s'en prendre à la télévision dès qu'ils auraient consolidé leurs positions dans les universités. Vendredi, si 3.000 manifestants, selon la police, 10.000 selon les organisateurs, ont remis au bureau de l'Assemblée un document en cinq points, le sommant d'inscrire dans la nouvelle Constitution que l'Islam est la religion de la Tunisie et de veiller à son application dans la réalité, à Menzel Bouzaiene, dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, des centaines de jeunes ont observé un sit-in pour rappeler aux autorités de ne pas oublier les objectifs de la révolution.