Beaucoup plus que le retrait possible de la Grèce de la zone euro, voire de l'Union européenne, c'est, à la base, l'admission de ce pays au sein de l'UE qui fait aujourd'hui question. Il est vrai que les rapports d'expertise pleuvent, de toutes parts, aujourd'hui, qui établissent l'inéligibilité, de fait, de la Grèce et font se poser des questions sur les raisons qui ont poussé Français et Allemands à admettre un membre tel que la Grèce. Un membre dont la fragilité actuelle du fait de l'incommensurable crise dans laquelle les Grecs se débattent malgré toutes les aides et les soutiens, pourrait coûter à l'Union européenne bien plus que le prix supposé être celui du retrait d'un pays membre. C'est de la cohésion de toute l'Union qu'il est question et de bien d'autres considérations qui sont loin d'être de simples spéculations. Economistes et Etats membres s'accordent à penser, effectivement, qu'il y a un coût qui touchera tout le monde en cas d'abandon forcé de la monnaie unique par Athènes. Et bien que cette éventualité, au demeurant très fortement abordée dans la presse et les milieux politiques, ne relève plus du refoulé politique européen, les différentes interventions des grands défenseurs de l'Union vont toutes dans le sens d'un refus de se laisser séduire par la voie du retrait, invitant tous les pays a se mettre au chevet de la Grèce jusqu'au bout tout en exigeant des Grecs qu'ils y mettent du leur pour contribuer, fondamentalement, au redressement de la situation et, surtout, émettre des signes de bonne volonté en direction de la Grèce. UNE ACCESSION INVRAISEMBLABLE ! Même les chiffres qui ont permis à la Grèce d'accéder à la zone euro et dont on a appris tardivement qu'ils étaient des faux, ne pouvaient permettre à ce pays de réussir son passage sans cette vague « grécophile » qui s'était emparée de tout le monde, que ce soit en France ou en Allemagne. Ce qui témoigne d'ailleurs de la fragilité des critères d'éligibilité de la Grèce à la zone euro, c'est le fait que les déclarations des experts, qui s'abstenaient de « non ! », n'en étaient pas moins infestées de messages codés, comme par acquit de conscience, histoire de dire qu'on n'était tout de même pas dupes du « miracle grec ». Des critères d'exclusion, ce n'est pas pourtant ce qui manquait pour rejeter la candidature de la Grèce, notamment une dette publique supérieure à 104% du PIB, alors qu'au-delà de 60% de déficit le couperet européen tombe. Mais voilà, ce critère, mis en avant, aurait exclu la Grèce, mais aussi l'Italie, la Belgique et qui sait quel autre pays. Ce qui aurait entravé ce que la France et l'Allemagne voulaient fortement, à savoir un euro élargi. Pourquoi refuser à ces pays ce qu'ils demandaient, alors que d'autres pays européens, pourtant favorisés, avaient dit non ? L'UE voulait faire l'euro pour tous, même pour ceux qui n'étaient pas prêts. Un principe qui a forcé l'adhésion de la Grèce, reflétant un état d'esprit ancien et qui ignore les distinctions gauche-droite, un état d'esprit qu'incarne parfaitement la réplique de Giscard d'Estaing à propos de l'idée de refuser à la Grèce sa demande d'entrer dans la Communauté Economique Européenne (CEE) : « Voyons, on ne fait pas jouer Platon en deuxième division ! ». L'antique Platon auquel faisait penser la métaphore de l'ancien Président français avait perdu de son lustre et il n'en demeurait qu'une pâle façade qui avait séduit une Europe en mal de racines consensuelles. UNE SORTIE COÛTEUSE... Les seuls débats sérieux sur une sortie de la Grèce de la zone euro sont en train de produire, chaque jour, leur lot de débâcles boursières et de vacillements monétaires, induisant, çà et là, en Europe, des effets économiques et financiers négatifs, certes mineurs, mais qui donnent une idée sur ce que sera l'effet, plutôt que d'un discours sur la chose, de l'annonce même d'un véritable retrait de la Grèce. Coûteuse, la sortie l'est moins pour la Grèce qui ne sait pas encore ce qu'elle doit faire ni de quel côté se trouve le rivage salutaire, que pour une Europe qui avait misé sur l'élargissement de la zone euro, sur une monnaie forte et sur les implications de la monnaie sur les constructions futures d'une Europe, enfin, politiquement unie face au reste du monde. POUR LA GRÈCE... Mais concrètement et considérant ce que les Grecs perdent et non la Grèce, les contrecoups d'une sortie de la zone euro sont aussi durs que nombreux sur les héritiers de Platon. Sans les ressources financières européennes, la Grèce devra immédiatement aligner ses dépenses sur ses recettes ; ce qui correspond à une contraction de plus de 15 milliards d'euros, cela si l'on préjuge que ce pays continuera de réaliser plus de 50 milliards d'euros de recettes avec son tourisme, ses activités maritimes et ses activités de services. Il ne faut pas perdre de vue la dépréciation monétaire qui va résulter du retour à la drachme et qui est donnée, par les experts, au-delà de 30%, ni la perte des fonds européens qui alimentaient les banques grecques, soit 100 milliards d'euros. POUR L'EUROPE ET LES AUTRES... Depuis le début de la crise grecque, l'Union européenne a déboursé la bagatelle de 340 milliards d'euros pour renflouer, en vain, les finances de ce pays, soit 31 000 euros à chacun des 11 millions de citoyens grecs. A considérer les résultats, il eut peut-être mieux valu donner directement ce montant à chaque grec. Quoi qu'il en soit, l'Europe doit faire son deuil des sommes déboursées aux Grecs, y compris les capitaux consentis directement par les grands Etats de l'Union, à savoir la France et l'Allemagne qui perdent gros dans le gouffre grec. Le FMI, lui, en revanche, continuera de demander des comptes, car les capitaux qu'il a libérés en faveur de la Grèce sont d'origine internationale. Les pertes européennes demeurent effectives que la Grèce sorte ou demeure dans la zone euro ; ce qui change, c'est que dans le second cas, il sera toujours possible de demander des comptes. LA CONTAGION REDOUTEE Pourquoi redoute-t-on un effet de contagion qui toucherait les autres pays européens similaires, par les crises qu'ils connaissent, à la Grèce si celle-ci décidait de se retirer ? Eh bien, certainement, parce que les solutions de sortie de crise que l'Europe préconise en échange d'un soutien solidaire, sont politiquement des impasses, puisqu'elles supposent une gestion austère des finances publiques d'au moins une décennie. Si la France et l'Allemagne peuvent s'offrir politiquement - bien que difficilement - une austérité financière, car celle-ci est toute relative, des pays comme l'Espagne ou l'Italie ne peuvent s'accommoder des formules de rigueur germaniques sans vivre des soubresauts sociaux conséquents. La Grèce est, à ce titre, tellement fragile, que les experts tablent sur une décision de sortie de l'euro et sur rien d'autre. Car l'Europe offre des années de pauvreté et des centaines de milliards d'euros de dettes, alors que la voie de la sortie offre la pauvreté. Peut-être que les Grecs préféreront les incertitudes de la solitude, eux qui ont commis l'erreur de vivre, au dessus de leurs moyens, des années durant.