L'administration civile qui avait pris la relève du régime militaire, fut chargée par les colons de transformer l'Algérie en patrie des colons, en accaparant les biens des « indigènes » et en spoliant leurs terres. Les populations locales vivaient déjà une situation dramatique avec la famine, les épidémies, la misère.... Cette montée en puissance des colons est considérée comme inacceptable par Mohamed El Mokrani. Ce dernier ne s'entendait pas avec l'administration. En 1864, le général Devaux le « tance » pour l'aide qu'il avait apportée à l'un des amis de son père, le cheikh Bouakkaz Ben Achour. N'ayant plus confiance en El Mokrani, les autorités décident la création d'une commune mixte à Bordj Bou Arreridj où il est « un simple membre au sein du conseil municipal, sans avis ni poids à opposer à la force des colons en matière de représentativité ». Pour exercer plus de pression sur lui, El Hadj El Mokrani qui avait pourtant présenté sa démission de sa fonction de bachagha, en mars 1871, était tenu « d'assumer sa responsabilité de tous les évènements pouvant survenir dans les zones placées sous son autorité ». Ces humiliations successives s'ajoutent à la famine qui avait touché la région entre 1867 et 1868 faisant des milliers de victimes parmi les Algériens, dans l'indifférence totale de l'administration coloniale qui ne jugea pas nécessaire de porter secours aux indigènes. Elles vont préparer le lit de la révolte chez les partisans d'El Mokrani convaincus que, pour la France, « seuls ses intérêts comptaient ». El Mokrani déclenchera l'insurrection contre la France, le 16 mars 1871. Il débuta son avancée vers la ville de Bordj Bou Arreridj à la tête d'une troupe estimée à sept mille cavaliers dans le but de faire ainsi pression sur la nouvelle administration. Après l'encerclement de la ville d'El Bordj, l'insurrection s'étend à de nombreuses régions. Mais des dissensions entre les zaouïas de la région de Kabylie, dont la zaouïa Rahmania à Seddouk et les zaouïas de Chellata et Illoula vont l'affaiblir. Ces dissensions scinderont la résistance en deux : la faction du bachagha El Mokrani avec pour siège Majana, alliée au bachagha de Chellata, Ben Ali Chérif, et la faction du bachagha Mohamed Ben Abdeslam El Mokrani, caïd de Ain Taghzout, à l'est de Bordj Bou Arreridj qui était l'ami de Cheikh Aziz, caïd de Amoucha et la famille de Cheikh El Haddad. Il tenta alors de rallier Cheikh El Haddad et la confrérie des Rahmania, grâce auquel il commença à mobiliser les populations pour le djihad. Le fils du Cheikh Mohamed Améziane Ibn Ali El Haddad jouera un rôle éminent aux côtés d'El Mokrani et put ainsi convaincre son père de proclamer la guerre sainte le 8 avril 1871. Ceci amena certains membres de la confrérie Rahmania à rallier les rangs de l'insurrection. Ils participèrent aux côtés du bachagha Mohamed El Mokrani à de nombreuses batailles dont ils sortirent victorieux. Les batailles d'El Mokrani, de son frère Boumezrag et du Cheikh Aziz, en plus de la confrérie Rahmania figurent parmi celles qui ont montré l'étendue de cette révolte qui n'était pas seulement limitée à Majana et El Bordj, mais avait atteint Dellys, Tizi-Ouzou, Sour El Ghozlane, Draa El Mizan, Bouira, parvenant jusqu'aux abords de la capitale. Le nombre de combattants, partisans de Cheikh El Haddad et membres de la confrérie Rahmania avait atteint plus de cent vingt mille hommes, issus de deux cent cinquante tribus. L'insurrection avait enregistré de nombreuses victoires qui suscitèrent des craintes chez l'administration coloniale. Mais les dissensions refont surface, entretenues par l'administration coloniale, notamment après la mort d'El Mokrani, le 5 mai 1871. Elles étaient centrées au premier degré autour de deux personnalités de l'insurrection, à savoir Aziz, fils de Cheikh El Haddad, et Boumezrag, le frère d'El Mokrani. Boumezrag poursuivait seul la résistance et son potentiel s'amenuise progressivement notamment lors de la bataille de la kalâa des Béni Hammad, le 8 octobre 1871. Boumezrag se retire au Sahara. Il sera arrêté le 20 janvier 1872 et déporté en Nouvelle Calédonie. SAISIE DES TERRES, AMENDES, DEPORTATIONS La fin de l'insurrection d'El Mokrani eut des répercussions désastreuses. Les populations qui l'avaient soutenue furent soumises à des impôts. En cas de refus de payer, l'administration coloniale procédait à la saisie de leurs biens. Ces populations continueront à être soumises au paiement d'amendes dont le montant fut consacré essentiellement à l'implantation des colonies, notamment entre 1871 et 1880. Leurs terres furent mises sous séquestre et leurs biens saisis et distribués aux nouveaux colons.Une loi portant démembrement des terres indivises fut promulguée le 26 juillet 1873 aux termes de laquelle 200 hectares furent affectés à chaque colon. 33 tribus étaient passés du statut de propriétaires terriens à celui de salariés après la saisie de leurs terres.