L'Egypte, qui a vécu sur les nerfs les derniers moments de l'élection présidentielle à couteaux tirés, peut, enfin, et légitimement souffler. La victoire in extremis du candidat islamiste, Mohamed Morsy, a certes balayé les incertitudes du scrutin de toutes les tensions. Mais, les Frères aux commandes de la nouvelle Egypte impose le challenge de la bonne gouvernance induite par les grandes promesses électorales de changement pour le bien-être collectif et la justice sociale. A la légitimité des urnes, par ailleurs faiblement acquise, se greffe désormais la bataille de la crédibilité et de la compétence qui ne peut se satisfaire de la profession de foi en faveur du libéralisme et de la référence à une vague politique sociale. Tous les observateurs s'accordent à reconnaître la difficulté de la tâche de la nouvelle majorité islamiste confrontée à la réalité du terrain. La situation économique désastreuse révèle les grands chantiers de la relance qui attendent Morsy : le secteur névralgique du tourisme (10% de la population active) en crise, le désinvestissement, la hausse des déficits budgétaires de 24 milliards l'année précédente à 38 milliards de juin 2012 à juin 2013, la fonte des réserves de change de la Banque centrale (36 milliards de dollars au début 2011) et ses conséquences sur le programme d'importation et de subvention des produits de base (blé, carburants raffinés...). En discussion depuis des mois avec le FMI pour un prêt de 3,2 milliards de dollars, Le Caire est appelé, outre les conditionnalités de rigueur, à privilégier la quête d'un « large soutien politique ». Pris entre le marteau du FMI et l'enclume du CSFA (Conseil suprême des forces armées) gardant la main haute sur le pouvoir législatif qui lui confère un droit de veto sur le budget et les projets de loi, le nouveau président s'attelle à l'élaboration des « priorités de son programme » et la formation d'un gouvernement de coalition dirigé par une « personnalité nationale indépendante » et un cabinet technocratique pour pallier le déficit d'expérience et d'expertise. A cet effet, El Ahram a évoque le nom de deux personnalités : El Baradeî et Hazem el-Beblawi, l'ancien ministre des Finances d'un gouvernement de transition post-Moubarak. La politique d'ouverture du « président de tous les Egyptiens » se veut l'expression d'une volonté de privilégier une démarche consensuelle pour une assise politique et tenter de desserrer l'étau militaire. Face au CSFA aux pouvoirs renforcés et aux attentes populaires immenses, les Frères musulmans sont assurément à la croisée des chemins.