La première partie du recueil, intitulée « Le tumulte des algues », s'ouvre sur un poème célébrant la mer qui « rêve au loin, bercée d'effluves sèves florales ». M. Djelfaoui personnifie la mer, un espace liquide en mouvement perpétuel. La mer ne rêve pas, mais nous fait rêver, parfois même éveillés, de grands espaces de liberté. Le titre du recueil est significatif. Il rappelle l'ivresse et la sensation du bien-être. Face aux ondulations de la houle le poète est admiratif, ivre. L'être humain, comme la mer, est toujours en quête d'un idéal parfois impossible. M. Djelfaoui, à la manière d'un sous-marin, explore les abysses maritimes pour en extraire le suc. Mais pas seulement ! Il analyse également la mécanique humaine dans toute sa complexité et ses contradictions et qui font de l'homme un être en déréliction. « Nous hantons les siècles du présent/ dérivant sur nos orteils/ démons de râles/ jamais assagis/ l'âme rase asséchée cep/ nous bouturons/ l'aphone déréliction ». Le poème souligne l'angoisse existentielle d'une âme inquiète, incertaine face à un monde cruel, changeant. Le poète se garde de faire la morale, même s'il invite avec des mots parfois violents le lecteur à s'explorer davantage et, surtout, à se remettre en question parce qu'il est aussi profond que l'univers insondable. Le « flux et reflux » des algues et des côtes minérales n'arrêtent pas de séduire le poète, pour qui la mer « verdoie là où bleuit sa main d'espoir ». La grève danse au gré des houles, autant l'homme oscille entre le bien-être et le mal-être. M. Djelfaoui, épris de la beauté marine, écrit que « l'illusion en mer est un entêtant amour évanescent, tel un rocher, son incommensurable big-bang ». « La mer dans la paume du vent/ la mer loin des rides de nos terrasses/ hors souffle de ses fonds/ et hors reste lourd de nos sommeils/ de mots et galets/ tourne et retourne/ fendre les vents d'éclaircies ». Le poète plombe et porte à la fois le lecteur à la réflexion, là où la poésie lui permet l'accès. « La mer vineuse (disait l'aveugle) » est composé de sept parties, à savoir le tumulte des algues, jasmin d'asile, cimetière marin, l'insolation d'Empédocle, scalp d'une médina, flux et reflux du destin et les vignes de la mer. Hamid Nacer-Khodja, critique littéraire et maître de conférence, écrit à propos de ce recueil que « La poésie de la mer existe-t-elle ? La mer, thème et symbole universels par excellence, est si peu présente dans la poésie algérienne, toutes langues confondues, qu'il convient de saluer avec respect ce recueil de Abderrahmane Djelfaoui qui l'encense, l'écrit et répond donc à la question ». Et d'ajouter : « Vers fluides comme il se doit, aires et passages canoniques à l'instar d'amples énoncés réduits à l'essentiel, flux et reflux des vagues tel un ballet de mots et de figures, faunes et flore des surfaces, abysses et côtes minérales, tous ces éléments participent à l'offrande : voir et entendre l'appel de la Méditerranée, la plus belle des mers et autres océans qui ne représentent dans l'espace-temps que de l'eau ». Le poète reste, cependant, humble face à l'absolu d'un territoire tant arpenté. Aussi s'essaie-t-il d'effacer toute trace de sa présence, en coïncidant son vocabulaire et sa sensibilité avec la grandeur homérique de son sujet. Djamel O. « La mer vineuse (disait l'aveugle) » d'Abderrahmane Djelfaoui. Editions L. De Minuit, 2012. Prix public 300 dinars.